Le bouton de mon pantalon avait lâché lorsque je m’étais baissé pour ramasser une pile de documents que j’avais mis de côté dans un coin depuis plusieurs semaines. Mon bureau était couvert de dossiers à traiter, les armoires et les étagères débordaient. Il me fallait faire de la place. J’allais trier ces documents mis à part avant de les archiver. Tant que j’étais assis sur mon siège à roulettes, ce petit accident n’était pas gênant. Je m’accroupis et séparais les documents par catégorie quand je sentis la fermeture éclair de mon pantalon descendre doucement. J’inspirais profondément pour garder mon calme. La moquette était usée et sentait la poussière. Lorsque je vins à bout de mon rangement, les mains me piquaient. Mon allergie se réveillait, je sentais déjà entre mes doigts de petites vésicules qui allaient me démanger tout l’après-midi. Mon nez commençait à couler. Je cherchais un trombone pour tenter de bricoler une attache qui retiendrait mon pantalon quand je descendrai aux archives. Je me relevais et ouvris la fenêtre tout en remontant la fermeture éclair qui ne semblait pas vouloir se fermer. Le froid rafraîchit la pièce surchauffée. J’avais remarqué ce matin que l’attache du vêtement donnait des signes de faiblesse, elle pendait d’une façon fatiguée. Sur le moment, j’avais pensé qu’elle tiendrait bien encore un peu. Dans l’entrebâillement de la porte, Mathilde passa la tête et me demanda si je descendais déjeuner à la cantine. Je masquais le haut de mon pantalon en faisant rouler mon siège près du bureau, me rapprochant ainsi du plateau. Je répondis par la négative en désignant les piles de dossiers à traiter. Je la remerciais et l’informais que j’allais sortir m’acheter un sandwich que je mangerai rapidement. Elle disparut, désappointée. Un courant d’air fit claquer la porte du bureau. La solitude imposée par le courant d’air me soulagea. Il me sembla soudain extrêmement difficile de me rendre aux archives les bras chargés. Il était certain que je ne pouvais pas manquer de croiser plusieurs collègues, il faudrait répondre aux saluts de manière cordiale, s’arrêter, demander des nouvelles de tel ou tel projet, du petit dernier dont les photos décoraient le bureau de la secrétaire, revenue depuis peu de congé maternité, voire, catastrophe ultime, serrer des mains et desserrer l’étreinte des dossiers contre la taille qui maintiendrait le pantalon en place. Je me concentrais sur la forme à donner à mon trombone afin d’en faire un système d’attache efficace. Si je réussissais à passer l’extrémité du trombone dans le trou du bout de la fermeture éclair et à le coincer dans la boutonnière, le système m’assurerait une certaine sécurité, le temps de quelques allées et venues.
il y a des textes qui sont formidablement parlants !
Chaque détail évoque un détail qui peut éveiller à la lecture un souvenir embarrassant, qui n’est drôle qu’a posteriori.