Pourtant c’est la saison où les arbres sont les plus odorants, la saison faite plus de fruits que de fleurs. L’air que l’on respire vous prend plus la bouche que le nez et pourtant c’est le règne de la fragrance en abondance, plus rien n’est promesse, tout est don. Si les enfants n’étaient pas si avides de profiter des derniers moments de jeu, ils pourraient en savourer les parfums flottant dans l’air, ils pourraient même grimper sur une branche et doucement lire tout en humant. Les voir ainsi, ça calme, on se voit finalement escamoter les mêmes trésors, être invité à siéger à l’académie devrait en soi se savourer longuement mais déjà traîne le soupçon d’imposture alors on est avide de l’idée neuve dont on va se parer, ah se draper dans la dignité de ceux qui créent, de ceux qui inventent, au risque de la fraude… Les jardiniers qui passent ont le sourire. Ils ont bien du travail, eux, mais c’est celui de la récolte, celui qui montre tout de suite à quoi il sert. Pas encore la saison des feuilles mortes qu’il faudra bien ramasser mais dont on ne saura que faire… Et on n’est pas du genre à en faire du feu, alors qu’elles flotteraient bien, les fumerolles d’automne, entre la certitude des joies vécues et l’espoir qu’elles ne soient que prémisses ! Pourtant il y a des démarrages nerveux de voitures et des arrivées aussi. On décharge des malles les fournitures de rentrée et le visage des enfants se tend car autre chose va bientôt commencer. Comme d’autres se demandent ce que l’on se doit d’apporter pour une séance d’académie, ce que l’on va poser sur la table qui ne brillera pas clinquant sous les lustres mais donnera le courage qui donnera le sourire qui donnera la parole. On pourrait se perdre plutôt dans les senteurs de fruit mais il faut s’entraîner à redresser le dos, à se montrer ferme et peut-être même dur, à défendre ce qui compte pour soi. Tant qu’on est enfant, la perspective est encore confuse, on sait qu’il faudra se défendre mais on ne sait guère encore ce qu’il faudra défendre. Quand on est cet adulte qui tient son rêve en réanimation permanente, on se demande ce qui peut encore se défendre. On se prépare dans les deux cas à un futur qui donne le vertige, tantôt mal au ventre, tantôt vibration excitante dans la tête, tantôt grande lame d’amertume pour tout ce qui n’est pas né à temps. Les fournitures de rentrée sont à manipuler juste après les fruits du goûter. Les projets viennent toujours après la révision des brouillons. Mélange du papier sec qui fait rêver à l’inédit et des fruits poisseux qui reviennent en boucle… Et dans tout ça, qui peut dire où est la promesse ?