Elle a choisi de ne plus aller au supermarché pour son propre compte. Elle ne supporte vraiment pas ces magasins submergés de produits inutiles et animés par de rares caissiers et de nombreuses caissières, nouveaux et nouvelles « esclaves » des circuits de la consommation. Quand elle s’y rend parfois pour répondre à la demande de sa fille, elle se perd dans ce labyrinthe, véritable parcours topographique et sonore. S’étant égarée dans plusieurs allées et perplexe devant tous les choix proposés elle a enfin repéré les produits commandés. Elle s’apaise enfin en s’approchant de la caisse, porte de la délivrance pense-t-elle. Mais des hommes des femmes des enfants font le pied de grue, en silence ou en ronchonnement. Une dispute vient d’éclater, une vieille dame a percuté la jambe d’une acheteuse avec son caddy indocile. Elle constate alors le nombre important de caddys qui se suivent, tous remplis à ras bord. Elle en déduit un long temps d’attente, ce qu’elle n’avait pas prévu. Elle aurait dû mettre des chaussures plus confortables, et anticipé cet embarras. Venir à une heure moins fréquentée, là c’est tout de suite après la sortie de l’école, des enfants jouent, sont grondés parce qu’ils touchent à tout ou bien pleurent de fatigue. La caissière enfin visible a une cinquantaine d’années, les traits tirés, un rictus aux lèvres, les mains nerveuses. Elle vient d’être réprimandée, elle a oublié de communiquer une information au responsable, un homme à l’allure arrogante. Elle ne lève même pas les yeux sur le client qui passe, elle ressemble à un robot triste, le sourire ne surgit même pas quand une vieille dame et son mari lui adressent un mot aimable, vous avez besoin de repos madame, votre travail est difficile. On dirait qu’elle reçoit ces mots comme une intrusion. Un homme essaie de couper la file prétextant un travail urgent. Personne ne l’accepte et chacun rugit. Il finit par se diriger vers une autre file présumée plus rapide. Une mauvaise énergie s’est emparée peu à peu de chacun, modifiant l’expression des visages, de calme ou d’indifférente à crispée. Alors pour patienter elle se remémore deux magasins qu’elle fréquentait enfant.
Celui de la droguerie, juste pour se procurer des cahiers, des crayons et de la cire d’abeille pour sa grand-mère. La vendeuse aux mains viriles grande, mince, affichant quotidiennement habits noirs et maquillage prononcé était imposante. Elle vendait de tout, avec une autorité qui lui donnait le dernier mot lorsqu’un client hésitait. Je vous le garantis, l’article ne sera plus là demain. Chacun s’inclinait et ne tardait pas à revenir, aimant être bousculé, acceptant de se soumettre, ayant l’assurance de repartir avec quelque chose. Tout était dans le ton ferme de sa voix et dans ses mains persuasives remplissant un sachet ou confectionnant un paquet dans un papier kraft qu’elle enjolivait d’une étiquette au dessin humoristique. Celui de William à la dent d’or, buraliste et propriétaire de la maison de la presse. Elle se souvient du petit tabouret chaque fois avancé pour faciliter le choix des bonbons et du magazine de la semaine. Un lieu de vie où certains passaient sans rien acheter simplement pour le plaisir de l’échange, des dernières nouvelles, de l’état du ciel.
Une annonce de baisse des prix du chocolat provoque un mouvement dans la file, une musique racoleuse secoue les tympans, la caissière secoue sa tête en soufflant, réalisant la modification à opérer. Vite, vite, quitter ce lieu et compatir pour le sort de cette employée dont le fondement restera collé sur son siège d’autres heures encore.
on a envie de fuir la foule
on a envie de se réfugier dans la vieille droguerie qui sent la cire d’abeille, de la doter d’un plancher poussiéreux comme celui de l’ancienne droguerie montpelliéraine en face du Novelty que j’ai connue quand j’étais étudiante, désormais devenue magasin de cadeaux… voire disparue)
On découvrait toujours quelque chose d’inattendu dans cette droguerie. j’ai bien regretté sa disparition.
merci Françoise de ton passage.
Contourner l’inconfort du moment en allant se réfugier dans un souvenir, belle page d’écriture. Merci.
Merci à toi Jean-Luc de ton écho.Les bonnes images en remémoration dans des situations désagréables sont en effet un bon recours
La droguerie, ah oui…. je m’en souviens aussi. J’aime vous mettez en scène ce qui se passe dans le Supermarché. Les détails précis qui rendent ce monde si désagréable et inhumain.
Bien dommage cette disparition.
merci Françoise de votre lecture