Dans une chaussette en laine mouillée, accrochée à l’arrière du panier, une bouteille d’eau est suspendue. Malgré la cinquantaine de degrés et le sable qui fouette la peau, les yeux et la gorge, cette gourde en ferraille refroidit par l’allure moyenne du véhicule blindé qui fait pousser sur l’alliage d’acier une rosée rafraichissante, claire et oubliée.
– Dub ! Prends à droite ! … Y a 22 devant ! ai-je hurlé avec le buste de mon corps presque couché sur la carcasse blindée pour qu’il m’entende à peine, à cause du vent, du moteur, de la peur.
– Reçu sergent !
Reçu… il a dit « reçu »…il a toujours dit ça (il dit encore ça). Il a tellement dit « reçu » que je peux être certain que lui, il n’a jamais dit « pour quoi faire? ». J’ai 19 ans et j’ai besoin de lui, et lui, il a besoin de moi. Par ce mot, il scelle ce pacte que nous n’avons jamais prononcé et qui nous fait exister chacun.
Il s’exécute, prévient le pilote et le VAB prend à droite. Il se tourne vers moi, un casque, un masque noir sur les yeux, un châle sur le visage, un câble radio l’entoure. Il n’a rien d’humain, jusqu’au bras tendu et au pouce levé, c’est ça son sourire.
J’existais, j’existe parce qu’il a été là.