« enfermée dans ce lieu d’exil » (proposition 6)
Hypothèse 1
Elle serait partie rêvant d’une terre qu’elle aborderait seule. Elle aurait laissé les visages connus, les lieux qui sentaient les placards trop longtemps fermés, les maisons aux gestes quotidiens —dormir se lever se brosser les dents poser la bouilloire rouge sur le feu regarder par la fenêtre se questionner devant le miroir chercher les clés entre les coussins poser une photo sur un bureau faire tourner une mappe monde déposer des mots dans un carnet lacer ses chaussures balayer sortir la poubelle… Elle n’aurait donné son adresse à personne. Elle serait tombée amoureuse d’une maison en bois au bord d’une baie, s’y serait installée. Il lui aurait semblé voir des fantômes de visages connus derrière les rideaux dès le premier coucher du soleil. Elle aurait guetté tous les couchers de soleil année après année. La forêt autour de la maison en bois se serait épaissie, les sapins auraient étendu leurs branches recouvrant le toit, assombrissant la maison mais toujours à l’heure où le ciel change de couleur, les visages lui seraient apparus, immuables. Elle aurait tenu avec eux de longues conversations évoquant lieux et souvenirs passés. Un jour elle aurait regardé ses mains flétries par le souffle des nuits, elle aurait voulu revenir d’où elle était arrivée. Elle aurait ouvert la porte. Les branches du sapin auraient formé un mur impénétrable bouchant tout accès à la baie.
Hypothèse n.2
Elle aurait quitté la maison dont elle connaissait les murs et serait partie chercher fortune. Elle serait arrivée par la route dans un lieu où les ponts se superposent à d’autres ponts pour faire transiter les voitures avançant comme des moutons agglutinés les uns contre les autres se poussant mutuellement au même rythme sauf pour ceux qui régulièrement tentent un passage au centre pour se débarrasser des insectes volants qui les ralentissent. Elle aurait été convoquée dans un bureau administratif , on lui aurait demandé pour qui elle avait voté, si elle était jamais descendue manifester dans la rue, avec qui elle dormait si c’était tous les jours dans le même lit, si elle avait payé ses dettes si elle était prête à mettre ses souvenirs dans un coffre fort qui serait fermé d’un sceau et placé dans une tour avec d’autres coffres, si elle connaissait l’histoire du sol où elle avait posé le pied si elle pouvait donner le nom de celui qui avait libéré des sauvages le premier lopin de terre, si elle acceptait de mettre dans un autre coffre sa langue car on lui en donnerait une nouvelle pour mieux penser et rêver ce qu’il convenait de rêver. Elle aurait longuement hésité poursuivie par l’odeur du sapin devant sa maison natale mais aurait été conquise par l’odeur d’autres arbres, fleurs, sentiers, rues, tapis, aurait pris un autre nom, enfoui ses secrets et sa langue dans les racines d’un arbre au pied duquel elle serait revenue régulièrement les écouter chanter. Un jour l’arbre aurait été coupé.
Hypothèse 3
Elle aurait suivi un homme dans un lieu qui n’était pas le sien. Il lui aurait parlé de liberté et elle se serait imaginée libellule, d’amour et elle aurait entendu toujours. Ils auraient habité une maison en bois contre laquelle se serait appuyé un immense sapin qui l’aurait bercée par la caresse de ses branches contre les vitres de sa chambre. A force de frotter, les branches auraient rayé strié le verre. La neige se serait infiltrée dans les sillons ainsi créés puis la poussière les auraient noircis durcis fossilisés en barreaux. La maison se serait assombrie à l’intérieur. Elle aurait alors installé des lumières et des miroirs pour s’entourer de reflets. Elle serait sortie régulièrement aux puces acheter de l’argenterie. Créer de la lumière sans lumière naturelle serait devenu une obsession de sorte que l’homme, sans reflet aucun, se serait effacé de sa vie. Elle serait sortie de moins en moins jusqu’à plus du tout sauf pour l’essentiel de la survie dans ce monde de reflets jusqu’au jour où par la fenêtre elle aurait vu une libellule sur une brouette rouge appuyée contre le sapin dans le reflet de son propre visage.
Je suis emportée par vos déracinements et leur destin. Non sans inquiétude … cette maison piège, ce sapin si étouffant ! Merci pour cette lecture
merci pour votre retour! les racines peuvent être de vrais pièges…mais l’écriture les déjoue!
j’ai aimé vos hypothèses ; c’est vrai que cette maison qui disparaît inquiète un peu (me fait penser au roman de Leonard Woolf, le mari de), et la perte de lumière et l’univers kafkaien aussi, mais cette inquiétude, porte le texte ; j’étais déçue de ne pas trouver le sapin dans l’hypothèse 4 (je m’étais attachée :)) ; est-ce intentionnel ?
merci,oui, vous avez raison… je l’avais mise dans l’hypothèse 4 puis de façon non intentionnelle sortie, sans doute parce que l’hypothèse 4 est dans mon esprit une toute autre toute autre piste… je vais repenser cela, merci pour votre suggestion et retour.