Toujours il faut se souvenir des dates. Moi, je les oublie toutes. Le 27 septembre comme les autres. Ce jour là, il faisait gris et froid, trop froid pour la saison. On s’était pelé le jonc pour le patron, le 27 comme le 28 et comme les jours qui ont suivi. Avant, on crevait de chaud. On est passé de la chaleur à la caillante, d’un coup. On l’a senti dans la nuit que le froid était là. Le 27 septembre c’était aujourd’hui. Rien n’a changé. Tout a changé. On trime toujours autant, le corps s’émousse, se fatigue un peu plus, fait naître des douleurs nouvelles, des fatigues épaisses et sombres. C’est ça qui a changé. On a mal. La douleur s’est invitée le jour, la nuit et même quand on prend une cuite. Ce jour-là, je m’en rappelle quand même, pas de la date, mais du jour. Je suis nul en dates. La mère était partie à la gare des Brotteaux avant que j’embauche. Elle était levée à 5 heures, elle avait fait sa toilette au broc. Elle était partie emmitouflée bien avant le soleil. Elle a ensuite attendu longtemps le train où était le frère qui rentrait du Linge, estropié. Il y avait les huiles, Herriot, Deschanel et Meunier pour se pavaner et la foule pour embrasser les grands blessés de leur sale guerre. La presse, le défilé et la mère dans la foule, habillée comme pour un mariage, la mère qui a attendu le frère, qui l’a à peine vu puisque trop grand blessé, il a été envoyé dans le Sud. Elle l’a embrassé. Puis il est parti par le train de nuit. La mère est partie aussi dans la nuit pour chez nous, à pied. Elle est rentrée, on l’a entendue. Elle bougeait comme si elle était morte. On a rien demandé. Elle a rien dit. Elle est allée se coucher. On l’a entendue pleurer. Le lendemain on est allé se crever pour le patron comme tous les jours. Le frère, lui, pourra plus travailler, il a crevé. Pas dans le train, un peu après… à l’hosto. La mère chaque année nous dit, aujourd’hui, c’est le dernier jour que j’ai vu votre frère. Mais, moi, les dates, ça me reste pas, alors qu’est-ce que j’en ai à foutre du 27 septembre.
Merci pour votre coup de gueule.
Je l’ai lu d’un seul souffle et je l’ai aimé, ce texte. En fait ça m’a happée… et la vision de cette mère à présent me poursuit…
Oui, beaucoup aimé ! merci…
Mort aux patrons et aux 27 septembre !
De la force dans la douleur. Comme j’aime. Bravo pour le texte. Et le titre en est un aussi à lui tout seul de texte.
oui super ! le rythme court, dynamique, dramatique qui entraîne le lecteur/rice
Magnifique texte sous un final comme nécessaire sursaut ! Merci pour cette lecture
Le 27 septembre c’était aujourd’hui … Elle bougeait comme si elle était morte…
Merci pour ce texte
tout est dit ci-dessus
Percutant!
C’est une très belle écriture je veux dire qui convient parfaitement pour un récit poignant ! Fort, fort. Merci