Elle ne sait pas que quelqu’un les regarde. Quelque part, au loin, à la jumelle et parfois sans, quelqu’un les regarde. Il les observe descendre de la voiture, la mère, le père, les enfants, la mère surtout. Il voit que… tiens, ils ont un chat à présent… Il compte les bagages qu’ils sortent du coffre, des valises, des cartables, deux sacs d’ordinateur, des cartons, un landau rose pour une poupée et le chat, donc. Plus exactement, la malle du chat.
Il voit qu’ils sont au bord de la rupture, il le sait ; il les observe depuis suffisamment longtemps pour tout savoir d’eux.
La maison est dans la famille depuis près de cent ans, dans sa famille à elle, la mère, et quinze ans plus tôt, elle avait décidé qu’ils viendraient ici pour les vacances d’été. « Tu es d’accord ? », avait-elle demandé au tout jeune père qui l’était, bien sûr, quinze ans plus tôt il était d’accord avec à peu près tout ce qu’elle voulait.
C’est une maison en pierres blanches, basse, en léger contrebas de la route. Lui vit plus haut, dans ce que la mère appelle parfois « un nid d’aigle ». « Alors, comment allez-vous dans votre nid d’aigle ? », lui lance-t-elle quand elle le croise et qu’elle veut sympathiser. De son nid d’aigle, il voit leur maison à l’oeil nu. Evidemment il la distingue mieux quand il prend les jumelles que son oncle lui a offertes des années plus tôt pour observer le bouvreuil pivoine et le guêpier d’Europe.
Il aime les oiseaux, pas les chats.
« Vous, dans votre nid d’aigle… » Elle se veut agréable, avenante ; peut-être souhaite-t-elle créer une complicité avec les habitants du village, car oui, elle est du genre à vouloir cela, à aimer parler d’eux en termes choisis dans ses dîners à Paris. « Des gens très simples, un peu rudes, mais avec de vraies valeurs… Parfois je me demande pourquoi nous continuons à vivre dans une si grande ville… » Probablement pour vivre la seule vie qu’elle sache vivre.
Il sait qu’elle venait dans cette maison quand elle était enfant, cette maison où habitait sa grand-mère. Il sait le puits dans la cour, la cheminée dans la grande pièce, la cheminée où des papiers, où des objets disparaissaient de temps à autre dans un grand feu, il le sait, il l’a vu. « Tu ne diras rien, n’est-ce pas ? » Il n’avait rien dit.
L’enfant qui est depuis devenue mère ne sait pas qu’il sait.
Il regarde la petite fille immobile dans son manteau trop court. Elle attend, elle a froid. Elle les voit s’affairer, vider le coffre, passer, se croiser, parler. Parfois, elle les entend rire. Elle ne dit rien. Elle se tourne et regarde la rose trémière fanée sur pied, elle la regarde longtemps. Puis elle entre dans la maison, hésite un peu, entre tout de même.
Il sait qu’elle marche sur des bombes.
Quelle tension dans ce texte ! un drame plane….
Je ressens une traque naissante mais ne sait pas si celle ci sera interne ou externe…C’est très réussi !!!
Merci beaucoup pour vos commentaires, Béatrice et Emmanuel. 🙂
Comme vous… je ne sais pas quelle sera la suite 😉 Par contre je sais que l’exercice 3 va me permettre d’explorer plus avant cette « traque naissance » (j’aime bien la formule !) et, ça aussi, c’est stimulant.