27-9-2006
mes orteils, qui remuent de temps en temps pour chasser le petit cri du froid, me rappellent la futilité du monde autour de moi, et de moi en ce monde – avec une force que je dénoue par l’idée que cette lucidité qui me revient avec la pluie, pourrait, par là, être soupçonnée de futilité.
27-9-2008
une matinée de 27 septembre presqu’active au royaume de la banalité,
savouré la lumière et la façon tendre qu’elle a de caresser Saint Didier…
contrôlé la lente décoloration des feuilles et l’annonce du rose ou du jaune, puis du roux ou du brun, qui va les envahir rangé mes achats, fait un peu de cuisine, piqué du nez
27-9-2010
à Calvet : dans nouvelle salle, je me retourne, me fige face à face avec «Déchéance» de Soutine, et la regarde pendant qu’elle me fixe. Du coin de l’oeil je voyais, en fuite sur le même mur, les autres tableaux tourmentés, tâches de couleurs qui m’attiraient pendant qu’elle me retenait, et puis je sentais, hors de vue, une présence, un visage, du noir, deux taches énormes qui étaient des mains, mais j’en revenais à la femme avec un attachement complice.
J’ai senti un mouvement et un homme, dans le mitan de l’âge, en vêture gardien, est apparu, un peu comme s’il glissait, sortant de derrière un épi pourtant une face rubiconde de Rouault, et s’est avancé en disant je ne sais plus quoi et, comme je souriais, il a enchaîné par la satisfaction, après des années d’attente, de l’ouverture de cette salle, y ai répondu par mon plaisir de retrouver ce tableau (vu dans je ne sais plus quelle rétrospective). et, comme des amis, échangeant des mots sans phrase, des sensations, sommes lentement passés devant le vieillard, un paysage de Céret – très composé, beau, parmi les plus stables –, ignorant toujours ce qui était dans notre dos, mais lui, planté, à côté de moi, s’était déjà tourné vers – je le voyais maintenant – l’idiot, et il disait qu’après avoir aimé spécialement la femme, c’était cette interrogation, ces mains et surtout le regard, absent et fascinant qui lui plaisaient et que d’ailleurs on lui avait suggéré d’écrire une note sur lui, mais qu’il ne pouvait pas, que chaque fois il renonçait… j’ai risqué que pour lui rendre justice, au garçon, ‘il fallait être schizophrène, libre avec les mots, la syntaxe. Alors il s’est éloigné, a été prendre dans son sac posé à terre à côté de sa chaise, une fine bande de papier couverte d’une petite écriture penchée et m’a dit que ce matin justement ça lui était venu et il a lu – je l’ai écouté, parce que c’était évidemment ce qu’il fallait faire, me suis autorisée à trouver cela pas mal, pas mal du tout, cela qui parlait simplement de la captation par le garçon de ceux qui le regardaient, et de sa façon de les entraîner dans son absence. Pour lui montrer que j’écoutais, je lui ai suggéré d’enlever une série de pronoms relatifs et de les remplacer par des virgules, ou des tirets ; il a essayé, et cela lui a plu. Alors nous avons continué, et il m’a pardonné de ne pas aimer Chabaud, ce qui est ici de l’ordre du crime. Nous avons dit que le Gleizes valait mieux que l’oubli relatif dans lequel était tombé le peintre, mais je lui ai préféré un grand Gris qui est prêté pour quelque temps, même si cette toile n’est pas parmi ses meilleures, un peu trop décorative, comme il me l’a fait remarquer – vengeance pour avoir posé ce mot sur Chabaud).
27-9-2011
Une image ou l’idée d’une rue canyon entre immeubles grimpants, brouillés, traits allusifs, inattentifs, crépusculaires ou noyés de brume – verticales noires, grises ou d’un blanc sale, et petites notes de couleur circulant sur la rive basse de ce tableau que j’imagine
Une place vide, le soleil, des tables, des parasols clos en flèches, – noyés, silhouettes, émergeant parfois -, et l’affirmation d’un rempart, du ciel, et d’arbres en très gros bouquets de feuilles.
La rencontre heurtée de ces deux idées de la ville, leur mélange dénaturant.
La trace, entre elles, de la présence, un instant, perdue, cachée, ou presque, d’une Brigitte égarée, hésitant à s’effacer ou être… qui ce mardi n’est pas sortie.
Mauvais jour.
27-9-2014
Aux petites heures de ma troisième venue au jour, vers neuf heures, moment brièvement angoissant, quand le son, l’image, les yeux qui se trouvent privés de lumière, tout meurt d’un coup. En chemise de nuit entrebâiller la porte palière, un bras passé, tâtonnant pour appuyer sur le bouton – la minuterie ne s’allume pas. Coeur dénoué, tartine de confiture, une goutte de café, fin du déshabillage, entrer dans la douche en s’appuyant au mur dans la nuit – la lumière revient avec l’eau.
Mais au bout d’une petite demi-heure environ, connexion en mode refus.
27-9-2018
En relisant mon journal de ces dernières années, dans cette nuit de pénible insomnie, où des pensées mauvaises tournoyaient, en jouant pour parfaire la distraction – avec une détermination qui doucement devenait inutile –, à chercher des mentions se rapportant au 27 septembre, ai vérifié la tranquille banalité de ma vie – me suis étonnée aussi, avec une pointe de honte vite évanouie, de constater que, même lorsque j’ai noté autre chose que la couleur du ciel et éventuellement l’humeur de mes jambes ou autre partie de mon individu, il ne soit jamais question de cette chose semble-t-il parfaitement négligeable qu’est l’état du monde – honte vite évanouie parce que suis bien persuadée (ou veux l’être) qu’en fait il m’importait tant que je n’osais l’aborder comme d’autres broutilles de même acabit.
‘publié le 27 septembre 2019)
J’aime beaucoup l’idée de la rue canyon.
J’ai écrit ton 27 septembre 2018 quelque part en 2019… Ce constat que peu, voire rien, ne concernait l’état du monde… et ma conclusion fut la même… Quels beaux carnets tu dois cacher…
merci pour vos passages
Votre belle écriture pour cet épisode au musée aussi et le récit que vous en tirez. Une vraie musique. Merci
Quel échange avec le gardien du musée ! Je suis en admiration devant cette lucidité qui n’a rien de futile, le saisissement du beau dans ce qui n’a l’air de rien, la déconstruction de la syntaxe, la liberté des mots, l’art de ne pas se prendre au sérieux…
Françoise Gérard m’a devancée, je partage tout ce qu’elle a écrit sur votre texte. Alors simplement merci, Brigitte Célérier, pour la LUMIÈRE .
Pour les tâches de couleurs en Soutine – Deux tâches énormes qui étaient des mains – cette visite du 27 2010 c’est fort . Ces glissements ces tâches. Force visuelle de ce journal troué. Et cette question qui me taraude aussi de l’état du monde qui s’absente du texte. J’aime beaucoup vos 27.
ah j’adore retrouver cet humour picotant, cette auto-dérision lucide, et la rencontre avec le gardien de musée est extraordinaire. Et moi j’aime et je vois le monde , l’état du monde passer dans ces notations sur l’anodin, qui constitue en grande part nos vies, et c’est souvent bien plus vrai que des faux tracts dont on est déjà abreuvés. Ne changez rien, tout cela est si tellement plein de vie, de charme, réconfortant .
que vous êtes gentils (la visite musée et un autre c’est de la récupération un peu rapetassée)
Je n’ai pas les mots pour expliquer ce que je ressens à vous lire. C’est très dépouillé. Vous n’avez pas besoin d’en dire trop pour évoquer une idée, une pensée. Françoise Gérard et Catherine Plée ont su le dire. Merci, Brigitte.
Belle révélation que celle des carnets… bien avec vous, chère Brigitte, dans ces explorations d’une certaine forme de néant finalement…
ce ne sont pas des carnets (jamais tenus) mais mon blog… avant 2006 il y a 64 ans de brouillard (au moins pour les dates)
Merci de vous
merci de vous 🙂