choc du pied sur le pavé – amorti – quelque chose a changé, est-ce la cadence de mon pas, est-ce la matière – je ferme les yeux, apprécie ma verticalité, la sensation sous mes semelles, insolite, je tangue un peu, m’agenouille, à hauteur de lézard observe le goudron : dans la brume de chaleur l’asphalte s’est modifié, ramolli, boursouflé de petites bulles luisantes, souples et douces – un pas en arrière, mon talon laisse une empreinte, j’approche un doigt, l’enfonce avec délice dans la réglisse molle, crève une bulle chaude, attrape un petit caillou, le loge dans le trou, la matière gluante un instant crevée se referme sur lui, tout revient de niveau – comme le caillou j’aimerais m’y enfoncer, comme le mot caillou m’enfoncer dans la langue, lettre après lettre, phalange après phalange main, puis poignet, puis épaule, puis torse, puis nuque jusqu’au crâne, ou bien tête première, culbutée dans la substance moelleuse j’avalerais la substance moelleuse, je me gaverais du goudron liquoreux, j’en renouvellerais mon sang, je m’éprouverais toute entière macadam, bitume bouillonnant, je deviendrais asphalte en fusion, je deviendrais le mot asphalte, je deviendrais chacune de ses lettres et la coulée de matière entre les lettres – sans savoir si ce sont les mots qui entrent dans le monde, ou le monde qui troue les mots