Oublie la surdité des temps de barbarie
Ignore les lézardes de ton âme, les fissures, les failles à jamais, raccommode
Reconnais l’espoir vain, lave-le à grande eau, décrasse ta mémoire des pierres et du sang
Les genoux broyés comment marcher, sur les décombres comment marcher, pieds nus, écorchés, amputés, comment ?
Marche droit, marche droit dans les gravats, ne regarde pas les effondrements, loin des détonations des sirènes cours aux abris
Vois les ventres creux des famines, les ventres pleins des enfants du viol, les envahisseurs aux couilles pleines, que leur nécessité les étouffe à en mordre la poussière des ruines, des ruines de ta ville, de ton village, tu ne reconnais rien mais tu les as dans la tête, ils sont tiens
Goûte l’attente, la patience, la persévérance
Fais fi de l’espoir stérile
Recouvre de cendres les feux jusqu’à l’extinction
Ne pleure pas
Cache-toi, planque-toi, dissous-toi jusqu’à l’informe, jusqu’à la glaise, l’argile, sculpte ton corps en creux, love-toi, fais trace
Ne sois jamais de ces hommes qui ont pris tes cris et tes larmes
Garde les yeux ouverts sur la cascade des glycines, prends le droit de les garder clos devant la cruauté féroce, regarde ta nuit intérieure, la lumière des reflets de ta force d’âme, avance
Déserte, refuse, désamorce la violence, violence + violence = violences, les branches de l’hydre renaissent, repoussent, fuis
Fuis, cours, vole et ne venge pas, fuis
Oublie les frères entassés, parqués, cognant aux grilles, oublie les odeurs des corps souillés, de la fange des hommes, de l’animalité jetée dans la chaux vive
Invoque ta maison, elle n’a ni porte ni fenêtres mais la déflagration de l’Histoire ne tuera pas tes rêves, tu y reviendras dans tes nuits de sommeil retrouvé
Invente la musique de sable, de vent dans les palmes, d’écume des jours vainqueurs, des sourires effacés
Escalade à mains nues les balcons de tes secrets, fabrique tes chimères, apprivoise les monstres, les fantômes, tu n’as pas le choix de ce long apprentissage
Les silences t’étoufferont longtemps
Laisse croire aux adultes qu’ils peuvent t’épargner, qu’ils peuvent tenir encore leurs rôles de parents
Apprends à grimper à l’échelle de la méfiance, assure chaque barreau, si l’un deux lâche redescends d’une case, enjambe les cadavres des innocents
Apprends le plus terrible, la grammaire de la trahison, scrute autour de toi, adopte l’œil à facettes des mouches, sens l’alerte dans ton dos, respire, évite la sueur de la peur ou leurs chiens te reconnaîtront
Apprends à te bercer dans la tiédeur d’une chanson, creuse ta volonté dans la solitude, pas trop hautes les barricades
Emplis les instants de vie jusqu’à demain, pleinement la vie jusqu’à peut-être demain
Non, pas toi, indemne c’est quoi ?
Reste parmi les vivants, ceux qui traversent les guerres
D’autres recommencent et d’autres recommenceront, les hommes construisent les ponts, les hommes les détruisent
Les silences t’étoufferont longtemps
Repousse la lisière de l’exil, ne garde que la mélancolie, ta quête au cœur de la détresse même, garde l’ardeur
Claque la portière de la voiture à la frontière des oublis, des incertitudes, n’oublie pas, tu n’oublieras pas
Fais surgir, fabrique des espoirs, désespoir d’une vie nouvelle, ah ah ah
Ne cherche pas ton reflet dans les miroirs perdus
Construis ton avenir ailleurs
Lessive l’amertume
Remonte à contre-courant le temps des siècles de sauvagerie
Apprends à tenir debout, colmate l’enfant porcelaine, unis bien les morceaux à la colle forte, relève-toi, telle Pénélope reconstruis la nuit
Les silences t’étoufferont longtemps
Courbe l’échine à l’évidence, la justice des uns n’est pas celle des autres, ni leur combat, cependant ta résistance en sourdine
La patience des araignées
Perds tes illusions mais pas ta candeur, profond une fine couche intacte, très profond, comme un lichen, tu arroseras plus tard
Frères hier, ennemis demain, se peut-il ?
Ne sois jamais un homme si c’est ça
« pleinement la vie jusqu’à peut-être demain ». « colmate l’enfant porcelaine ». « cependant ta résistance en sourdine »… Puissant texte. Merci Mireille
Et merci à toi, Hell, de ta lecture! Thème si fort…
très profond, merci
Cette bascule au premier quart du « avance » au « fuis », comme un changement de point de vue, une prise de conscience
Alors je me dis que ça mériterait une mise en page particulière
et puis cet italique aussi qui semble résonner avec le futur…
(je me demande quelle était ton intention, mais peu importe, on déchiffre en lisant)
force de l’élan…
Marche par nécessité, avance vers ta force, fuis la violence.
L’italique c’était basiquement ce qui n’était pas à l’impératif, mais tu as raison, pour la plupart cela résonne avec le futur.
ça a coulé tellement tout seul, j’ai essayé de fractionner mais ne m’y suis pas tenue, l’envie d’une presque seule respiration comme c’est venu… faudrait peut-être un peu de recul.
Merci de m’avoir lu, Françoise, et de ton retour
La dernière ligne porte un coup ❤️🔥
Elle essaie, Rebecca, elle essaie! Hélas les Hommes continuent leurs saccages… Merci d’être passée par ici