Quand JE a peur de tout de la saleté de la poussière de la misère – non vous ferez après- il faut qu’elle nettoie elle passe les sanitaires des hôtels à la Javel, toute une vie étriquée à laver nettoyer devant ses propres pas, supprimer traces des étrangers qui ont fait avant soi sur la lunette ou à côté, passer l ’éponge et l’imbiber avec le petit flacon de Javel toujours à disposition dans le grand sac à main bien frotter la lunette et l’envers de la lunette où souvent subsistent traces suspectes regardez moi ça, le nez froncé dégoûté passionné à penser surtout ne pas y penser ce que les autres ont fait et laissé tomber là dans ce puits d’eau claire sur l’immaculée faïence… Se précipiter pour éponger de même interrupteurs et poignées de portes d’armoires de commodes que des mains souillées elle préfère ne pas penser de quoi y pense quand même surtout ne pas y penser ont été posées ont touché caressé contaminé… Et puis éponger javelliser de même la baignoire le receveur de douche le lavabo le verre à dents le nez toujours froncé dégoûté fasciné par les pensées afférentes repousser les pensées on ne sait pas comment ils nettoient dans les hôtels et les lieux publics ou plutôt on sait bien comment avec des lavettes noires comme des tunnels et des éponges qui ont trainé dans les pires recoins quand chez soi on sait distinguer l’éponge à vaisselle de l’éponge pour la table et l’éponge des toilettes de celle du lavabo quand JE a peur de tout elle utilise son mouchoir en fil et de l’eau minérale à flot et grand regret mais on ne peut quand même pas tout javelliser et en tout cas pas où l’on mange le mouchoir s’agitant alors sous son nez froncé dégouté ensorcelé la bouche crachant c’est tout gras regardez moi ça les yeux avides guettant toute poussière tout moucheron toute crasse elle brique la table du restaurant les assiettes les couverts les verres et sourit enfin libérée un temps libérée juste un tout petit temps libérée après lequel il faut de nouveau s’agiter récurer épousseter chez elle on peut manger par terre sauf que c’est défendu ça salirait elle vous y ensevelit sous une serviette amidonnée. Du temps que JE a peur de tout elle emporte toujours son eau minérale avec soi la Thermoz nettoyée à l’eau bouillante c’est quand même mieux que leurs carafes qui ont été lavées quand ? en 1850 ? Regardez moi ces traces et puis cette terreur de coucher dans des draps lavés par une autre sur un matelas où tant de corps, et quels corps ! ont sué avant soi ont évacué quoi encore tout ces corps on n’ose imaginer quand le sien se rétracte rien que d’y penser ne pas y penser la peau comme serrée à fermer tous ses pores et retenir toute excrétion qui pourrait se répandre et se mélanger aux excrétions d’étrangers et que du temps où JE a peur de tout ça la fait se lever aller dégotter dans sa valise une longue et plate serviette de toilette qu’elle étend sous elle et une autre sous le corps de ses nièces afin de faire barrage aux mélanges d’excrétions et autres mixtions possibles et microscopiques bactériennes ou virales qui rien que d’y penser non ne pas penser ferme encore plus le corps qui est pourtant déjà bien clos son mari s’en plaint à qui veut de ce corps à lui fermé rétracté invaginé depuis tant d’années son mari qui pelote l’air et les femmes de tous âges croisées dans l’ascenseur les ruelles au marché à la cave dans l’escalier dans son appartement même tandis qu’elle astique l’univers avec son éponge javellisée et son mouchoir de batiste dont elle exhibe en vainqueur les salissures les traces ramassées avec cet air de vous dire le nez froncé dégoûté gourmand hein ? Si c’est pas malheureux et Dieu merci j’ai ma Javel avec moi quand JE a peur de tout la vie aussi l’affreuse et rampante biologie insinuée partout menaçante bactériologique et virale sudorale salivaire séminale et excrémentielle la vie la vie invasive qui s’étend partout et contre elle quoi ? une toute petite bouteille d’eau javellisée et une éponge souvent changée, l’une jetée aussitôt qu’une nouvelle achetée si seulement on pouvait jeter aussi tout ce qui s’agite la saleté et la misère les tourments les guerres et les colères le noir et la poussière et le regard des autres. Du temps où JE a peur de tout et même de la visite d’un vieux cousin des cacahuètes des maladies des étouffements des rêves des discussions politique de la chair de l’amour des voisins des chiens …elle fait face avec sa toute petite Spontex
J’ai relu le début de ta bio dans la foulée… Ah, le JE ! Hi hi. Ce texte présente très bien l’univers et la phobie de ce personnage qui à force nous convainc nous fait sentir comme lui imaginer redouter tout comme lui. Impressionnant ! Merci, Catherine. On ressent dans notre corps tant son corps est envahissant.
Merci Anne, à défaut de comprendre, je me suis au moins amusée, oui, la bio qui arrive en queue de texte trouve toute sa dimension soudain !!!;)
le je qu’on ne sait pas, qu’on ne connait pas et surtout qu’on ne reconnait pas quand une critique ou un jugement, ou une gentillesse vient en parler en nous le rendant totalement étranger… est-ce ce qui a amené à ce je obsédé par la propreté ?
non, franchement, je ne pense pas. C’est partie de la peur de tout plutôt… le regard des autres est venu à la toute fin, peut-être une certaine dissociation de soi à soi quand on se voit déconner mais qu’on ne peut vraiment pas se retenir comme si un autre agissait en soi, ce qui me parait très limité par rapport à la demande de FB mais là, je jette un peu l’éponge !!!!
Le rythme en dit long sur la phobie de ce JE, il entraîne dans sa terrifiante spirale ! Tout autant que son objet, c’est aussi cette phobie qui donne la chair de poule… et le clavier, elle y a pensé la Spontex ? 😉
ah le clavier c’est terriblement sale un clavier!!
Cet atelier devient inquiétant. Tous ces JE qui prennent de la distance et laissent sortir tout ce qui s’agite au fond des Elles et des Ils, les émotions au plus profond des corps. Flippant, terrifiant, tous ces JE qui s’ignorent. Tant que ça reste une obsession pour l’eau de Javel et la spontex …mais on imagine vite bien pire. Bravo Catherine et merci pour ce détour obsessionnel.
Très bien le rythme, et ça sonne juste ! J’ajoute que pour moi qui parviens très peu à lire sur écran, quand je vais jusqu’au bout d’un texte c’est qu’il m’a vraiment plu. Je crois me souvenir que ce n’est pas la première fois que tu fais un très bon texte avec le ménage… Non ? Beau sujet, invisible et fort !
Qu’il est doux de se réveiller matin et découvrir les gentils commentaires des camarades. Oui, Juliette, je me spécialise il y a tout un continent sous la balayette…
Bravo ! j’écris ce commentaire avant de lire ceux qui me précédent pour éviter les redondances 🙂 Mais vous dire, ce texte, un morceau d’anthologie sur ce thème du ménage que vous aviez déjà évoqué je crois. La litanie du sans virgules, sans respirer l’éponge à la main, juste la pause de quelque points et points d’interrogation pour mieux reprendre la ritournelle des Je a peur de tout, le nez froncé etc. Une texte à dire et à redire 🙂
en plein dans le mille alors …! (je me souviens des mao-spontex…) bravo…
eh oui les Mao spontex et n’y ai même pas songé !!!
J’ai vraiment beaucoup aimé ce texte, il nous embarque et ne nous lâche pas! Bravo et merci.
Merci Catherine Plée pour ce texte inquiet autant qu’espiègle (me semble-t-il). En bref : pile ça gratte, face ça absorbe 😉
J’aime beaucoup votre lecture spontex de ma chose, Déneb…
Super super du détachement, de l’humour sur soi, de la peur, du fou-rire. Catherine j’aime vos textes et je vous aime.
Merci Simone vous êtes adorable.