Lysiane n’avait pas sonné. Souviens -toi elle avait rejoint l’organisation par une autre fille, Brigitte B., une adolescente volubile qui déployait en parlant de longs bras,et dont la blondeur étonnait dans la chevelure bouclée et dense des femmes de la Méditerranée. Cette Anne -Marie avait une soeur, une aînée tu sais bien une de ceux qui n’étaient jamais loin, qui avait vécu Mai 68, un double comme amplifié de sa sœur, aussi ronde que l’autre était mince, et éclatant à tout propos du même rire. Anne-Marie et Lysiane fréquentaient un lycée du centre. Non pas, comme je l’ai déjà dit, le centre administratif un peu guindé où m’avait envoyéee l’ange laïque qui voulait le meilleur pour moi, mais l’autre, le centre commerçant, là où arrivaient en fanfare les eaux de la Durance ,dans ce quartier où l’on pouvait entendre les pleurs des lions captifs la nuit venue. Nous nous faisions face et je me souviens de ses mains tenant les journaux. Comme d’habitude elle avait peint ses ongles, geste que je m’interdisais en vertu d’une loi non écrite du groupe, obéissant aussi à des voix plus secrètes, que je distinguerais beaucoup plus tard. D’elle je ne savais pas grand- chose. Un père ouvrier à la Générale Sucrière, une mère au foyer, un petit frère et un grand-père résistant dont elle s’était réclamée à voix forte, au cours d’une de ces questions de stratégie incessamment agitées dans le groupe. Comme je l’ai déjà dit, je ne savais rien d’elle au-delà de ces figures si attendues que je doute aujourd’hui de leur exactitude. Elle défendait son périmètre familial, comme pour avoir le temps de traduire, nous évitant un contact direct avec ce que pensait- elle sans doute, nous n’étionspas à même de comprendre. Ces pauvres ruses de fin d’enfance je ne les percevais que trop. Mais nous ne voulions partager que l’élan, le combat, pas la boule de honte qui travaille les ventres. Ce nous ne t’inclut pas je pense. Il nous concerne, elle et moi, les deux qui se font face devant ta porte.