c’est toujours à dubna . c’est encore à la gare . ça pourrait faire suite à certains propos de peterzhak déjà dits dévoilés . ça pourrait avoir lieu sur l’escalier roulant menant de l’étage au hall d’entrée menant au dehors . c’est encore un propos de konstantin peterzhak . c’est encore un propos rapporté par georgy flyorov . noté scrupuleusement le soir par georgy flyorov . c’est d’abord un propos sur la gare . sur le temps passé à attendre à la gare . puis cela dévie . cela devient autre chose . mais quoi ?
première épouse d’anton antonovitch- circa 1945
/ des fois / à dubna à la gare c’est plus simple c’est plus simple : konstantin peterzhak n’est qu’un mortel par jour / ainsi hier matin / il a été rapauchie doudouce / hier soir / le déchiré de haut en bas / il y a trois mois / le vertical dans le vent puis l’identique aux murailles un autre jour / durant l’été / il a été : petit a : dmtitri pligov petit b : sasha sushi petit c : grise joie petit d : foutre canaille et moment même / puis l’hiver dernier / dans le grand froid soviétique dans la matière douce des pelisses dans la matière rêche des cache-nez de décembre à janvier il auré été : l’efface souffrance le pavot somnifère la science des mots la science des morts l’alternance le perpétuel maculé la semaine de détresse mais /
/ maintenant /
/ à dubna à la gare sur la dalle en béton : il s’appelle anton anton antonovitch il est peut-être mort il se le demande il prend place à une table il est émacié il prend place dans le froid dans l’humide il se fiche du froid de l’humide il est peut-être mort / maintenant / il se fiche d’être mort ou vivant / maintenant / il a une chose à faire / maintenant / il la fait de la main il fait le vide / maintenant / il balaie de la main les miettes qui traînent sur la table il sèche de la manche de son manteau de feutre une flache d’eau tiède / puis / de la main il balaie la table déjà balayée il prépare le terrain il ne voit que la table ne s’intéressant qu’à la table ovale et striée de jaune et de rouge et de brun maintenant balayée et parfaitement propre / puis / il pose les deux mains bien à plat sur la table / puis / d’une main il sort une pomme de son manteau de feutre et la pose sur la table / puis / de l’autre main il sort un petit couteau il le pose sur la table à côté de la pomme / puis / il pose à nouveau les deux mains bien à plat sur la table / maintenant / il est prêt / maintenant / il est assis à une table va manger une pomme partager une pomme partager sa pomme ce qu’il a dans sa pomme ce qui tient dans sa pomme dans sa tête dans sa pomme dans ce qu’il appelle pomme c’est sa tête ce qu’il a dans sa tête / maintenant / il dit pomme pour dire tête puis il dit ce qu’il a dans sa tête c’est pour lui-même c’est à lui-même personne ne l’entend personne ne le regarde personne ne le rappelle à l’ordre / dans sa vie / il a déjà dit : « mon amante vaut bien la tienne » « nous sommes dans un monde où ni l’homme ni la femme ne respectent le corps humain » il n’a pas encore dit ne dira peut-être pas « nous vivons dans un monde où ni l’homme ni la femme ne respectent les pommes ne respectent les têtes ce qui traînent dans les têtes » le pensera peut-être on ne sait pas on ne sait pas ce que pense anton antonovitch assis à une table dans ses vêtements déglingués sans chapeau sur la tête une pomme à peler devant lui un œuf à peler devant lui on ne sait pas ce que pense anton antonovitch une tête à peler devant lui c’est la sienne / maintenant / il pèle sa tête il la coupe en quartier il se révise ainsi il est visible ainsi il se donne à voir / des fois quelqu’un vient le voir / c’est un ami c’est une amie c’est pour lui serrer la main / dans sa vie / il lui arrive de parler / dans sa vie / à dubna à la gare sur la dalle en béton il a déjà dit à quelqu’un un ami une amie : « vous deviez venir me voir vous n’êtes pas venu j’étais pourtant visible mon état était celui de l’homme celui de la femme » / dans sa vie / à dubna à l’arrêt d’autobus au centre atomique il a déjà dit : « je ne vis pas dans tous mes états » et « quelqu’un ou quelque chose a voulu une fois pour toutes me fermer la bouche » / maintenant / il ne pèle plus de la bouche il ne se soumet plus aux bruits crapuleux il ne pense qu’à sa tête il ne pense qu’avec elle il n’est qu’avec elle c’est sa pomme c’est sa tête il exhibe sa tête l’intérieur de sa tête / maintenant il dit / la nécessité qu’a sa tête de peler un œuf de peler une pomme ou d’être un œuf d’être une pomme la nécessité de manger du beurre de manger des sardines et de boire du café vert l’absence de matières grasses occasionnant un état de sous-alimentation et un état de désarroi désorientant sa pomme sa pomme se désorientant à certaines heures du jour mais s’orientant des fois parfaitement à d’autres heures du jour / maintenant il dit / « ma langue n’est pas creuse ma langue perfore ma langue fait son trou » « ma gueugueule n’est pas à satisfaire ma quéquette n’est pas à satisfaire mon coeucoeur n’est pas à satisfaire » / des fois il pense / « un trait à la craie blanche est entre moi et le monde » « je chevauche entre les totems et les sorts » « je ne suis pas une distraction passagère » « je ne suis pas un bruit crapuleux » / maintenant / il mange sa pomme il mange sa tête il mange son œuf / maintenant / il se rassérénère il se ragaillardit il garde une fois de plus le monde à distance / maintenant / c’est parfait c’est bon « c’est ça l’amour » dit-il à voix haute / maintenant / « c’est ça l’amour » pense-t-il à voix haute mâchant des fois des heures entières une pomme entière comme certains mâchent les corps comme certaines gâchent les corps « tout ce qu’il ne faut pas faire pour vivre » dit-il « tout ce qu’il ne faut pas faire pour vivre » dit-il « tout ce qu’il ne faut pas faire pour vivre » / puis / il se tait / puis / il se lève de table laissant les épluchures et le trognon laissant son petit couteau à manche rouge /
note georgy flyorov à la page 37 des CONSIDÉRATIONS SUR LE NEZ DES CHIENS ET LE NEZ DES RATS . volume 24 des propos tenus . quotidiennement . à dubna . par konstantin peterzhak .
C’est super. Très dense. Très économe. J’aimerais l’entendre à voix haute. Maintenant. Des fois.Maintes fois.
et, ici, de mon côté, très envie de le lire à haute voix ! beau dimanche à vous, Louise ! et merci pour votre retour et votre lecture !
Quel étonnement jubilatoire à te lire ! Ce rythme ces associations ces avancées ces répétitions. On attend la voix. Merci
haha ! merci Anne ! en lirai tout bientôt une version légèrement différente du côté de Quimperlé, figure-toi ! et puis : pas impossible qu’il y ait un de ces quatre une version sonore du machin ! on verra ! merci de ton retour en tout cas : suis content de voir que « ce machin-là », eh bien, il y a des gens qui l’apprécient ! des bises des bises !
C’est magnifique Vincent, grand froid soviétique, pomme pelée, et petit couteau rouge. Que c’est fort, chaque. Merci!
hé ! merci de ton commentaire, Milène ! ça bouge pas mal, pour l’instant, à l’intérieur, pour l’écriture et, du coup, eh bien, ton simple et doux commentaire m’invite à poursuivre les remuements ! belle journée à toi ! des bises !