c’est encore un propos de konstantin peterzhak. c’est encore un extrait des CONSIDÉRATIONS SUR LE NEZ DES CHIENS ET LE NEZ DES RATS. volume 24 des propos tenus quotidiennement par konstantin peterzhak. c’est encore un propos rapporté par georgy flyorov. cette fois-ci c’est un propos tenu sur un escalier roulant tandis que flyorov se confond en excuse. ça se passe à dubna. à la gare de dubna. aux heures de pointe. il y a à dubna. à la gare. aux heures de pointe. sur l’escalier roulant. georgy flyorov regrettant d’avoir fait attendre peterzhak. la circulation à cette heure étant difficile. etc. dirait flyorov. pas de souci flyorov pas de souci dit peterzhak. puis il ajoute :
Des fois : c’est plus fort que moi : je me vois en toute chose Georgy Flyorov. En tout être et toute chose. C’est chercher à s’ôter quelque chose de l’œil. C’est s’accroupir. Fouiller dans un sac plastique sans regarder derrière soi. Je brille alors de mille feux. Je me dédouble. Je me multiplie. Je suis l’enfant blond tiraillant une poupée nue par un bras. Je suis son frère blond tiraillant la même poupée par son autre bras. Je suis leur mère les laissant vagir derrière moi comme si je ne les connaissais pas. Je sonde mes yeux dans un miroir rond. J’arrondis les angles à la meule électrique. Je fais des étincelles. Je suis étincellant. Je brille alors de mille feux. Je me mets la tête dans le four. Je récure des taches noires. Je dégage une odeur forte. Je me prends les pieds dans une laisse. Je jappe comme un chien fou. Je perds mes lunettes. Je les cherche dans mes poches. J’évite de laisser mes bagages seuls. Je leur montre les horaires et leurs papiers jaunes. Je leur montre où prendre le café. Je fais la file. Je gèle. Je meurs de froid. Je m’étends sur une couverture en laine. Parfois je défile en bougeant des fesses. Parfois je vagis dans une poussette. Parfois j’agite un bras. Je ne parviens pas toujours à attirer l’attention. Je plisse souvent des yeux. Je ne vois rien de loin. Je vois très peu de près. Je me tiens à distance. Des fois je pense qu’il faut se méfier des choses. Des fois je pense : les choses sont des êtres qui s’ignorent. Il m’arrive de croire que je suis quelqu’un. Il m’arrive de croire que je compte. Hier j’ai compté mes doigts. J’ai compté mes dents. Aujourd’hui ce sera mes orteils. Des fois je dis : j’ai du poil de chèvre dans mes oreilles. Je considère les chiens. Leurs nez. Leurs crocs. J’en prends la mesure. Je note scrupuleusement le résultat dans un carnet. Je jauge. Je juge. Je ne côtoie pas n’importe qui. Je ne côtoie pas n’importe quoi. J’envisage des possibles. J’envisage des avenirs. Mes fesses sont immenses. Elles pourraient couvrir le monde. Dès que je prendrais place elles couvriraient le monde. Des fois je ne vois plus qu’elles. Des fois je ne suis plus qu’elles. Je déborde des pantalons. Je porte une veste à carreaux rouges. Je porte une veste à carreaux noirs. Je rehausse des tubulures d’acier inoxydables. Je rehausse les choses. Les êtres et les choses. Des fois je fais prendre de la hauteur. Des fois je rampe ras-du-sol. Je suis seul parmi la foule. Nul ne sait ce qui se passe en moi. Nul ne sait que j’embrasse sur la bouche. Je rattrape un morceau de beurre avant qu’il ne touche terre. Je laisse les choses en suspension. Je laisse les êtres en suspension. Je suis suspendu à leurs lèvres. J’ai des réflexes. Je sais où regarder. Des fois je porte des choses à leur incandescence. Des fois je porte des êtres à leur incandescence. D’autres fois le feu des choses passe en moi. Le feu des êtres passe en moi. Je suis à la croisée des lignes. Comment veux-tu que je m’ennuie ? Comment veux-tu que je désespère ? Je suis comme tout le monde. J’aspire à aspirer. J’aspire. Je me débarrasse d’une scorie. Je me débarrasse d’une poussière. Mes talons heurtent le sol. Je vibre un peu. J’émets un bruit électrique. Je couvre les annonces des trains. Nul ne me comprend. Je ne comprends personne. J’ai une canne. Je pense avoir les pieds sur terre. Je pense être le seul à les avoir sur terre. Je transpire malgré le froid. J’ai peut-être de la fièvre. Je parle pour les désespérés. Pas en leur nom. J’écoute ce qui s’adresse à moi. Ce sont des êtres. Ce sont des choses. Elles ouvrent la bouche. Je les entends. Ils ouvrent la bouche. Je les entends. Nous ne sommes peut-être pas plus de trois vivants dans la gare. Je ne suis pas sûr d’être l’un des trois. Je n’en suis sûrement pas. J’irradie. Partout où je vais j’irradie. Je peux m’abstenir. Je ne m’abstiens pas. Je laisse faire. Des fois je me dis : « Nous sommes des êtres miniatures. Nous sommes de petite taille. Nos ancêtres fossiles mesuraient dix-huit mètres. Nos ancêtres savaient claquer des dents. » Des fois : ça m’arrive : j’appartiens à la puissance des astres. On écrit alors dans mon cœur. J’aime croire que ceci est profond Georgy Flyorov. J’aime croire que ceci est profond. C’est une douleur inadéquate à l’épaule gauche. C’est inquiétant. Préoccupant. Ça ne vaut rien. Pas tripette. Tu saisis ? Georgy Flyorov ? Tu saisis ? Tu saisis ?
puis il se tait.
puis ils sortent de la gare. rejoignent olga bouchoueva. la voiture et olga bouchoueva.
puis ils se rendent à moscou. en voiture. avec olga bouchoueva.
J’avoue que je l’attendais. Et je ne suis pas déçu. Je me demande même comment ça vient tout ça. Comme ça sûrement : « Je peux m’abstenir. Je ne m’abstiens pas. Je laisse faire. » J’essaye ça aussi. Mais des fois… Je m’y suis repris à deux fois, et j’ai dû aller les chercher dans un autre livre mes quelques portraits sans nom : A wop bop a loop bop a lop bam boom du critique rock Nick Cohn (une vraie mine, tous les rockeurs de la première heure y passent, avec des gueules pas possibles parfois). Bref ! j’aime beaucoup le texte. Surtout avec ce Je renvoyé à sa nature profonde en somme : « je me vois en toute chose… En tout être et toute chose. » Et alors ça n’en finit pas, et ça pourrait continuer. J’imagine même que ça a commencé bien avant. Merci Vincent.
(Ps : il manque un mot au début, là : « aux des pointes », ou c’est moi?)
a bin ! un tout grand merci pour ce retour, Will ! je ne connaissais pas Nick Cohn mais je vais aller fouiller cette mine, à coup sûr ! doit y avoir des pépites dedans ! et pour répondre à « comment faire ça », difficile à dire, en fait, haha ! c’est un mélange d’intuition et de réflexion, de bosser « sur le terrain » aussi : ai pris énormément de notes, de diverses façons : souvenirs de gare + observations sur place + notations sur place + lectures aussi (je suis très très « poreux », en fait : me laisse traverser facilement par les mots des autres, aime rebondir sur les mots des autres, glisser sur leurs mots, dériver sur leurs mots)… tout cela donne une soupe pas possible ! et, je dois dire, cette fois, c’était vraiment un potage aux légumes variés, haha !
ensuite, eh bien, j’ai laissé reposer l’affaire pas mal de temps, ai essayé de faire comme ceci puis comme cela mais ça ne me convenait pas… et puis : ai croisé un texte inspiré par les indiens du chapas (vous savez, les indiens et le subcomandante marcos) qui ne déclinent pas leur identité comme nous on le fait mais comme une longue litanie de « je suis » : je suis la femme qui fouille dans les poubelles, je suis le militaire et le chien, je suis le rayon de soleil, etc. etc… et j’y ai vu qqch qui pourrait rassembler mes notes, leur donner une cohérence incohérente, sans me soucier de « raconter quelque chose »…
voilà ma petite popote interne, en quelque sorte…
(pardon d’avoir été aussi long à commenter votre commentaire et bon dimanche à vous)
Ah les litanies ! le lâcher-prise. Pas facile dans notre monde, si loin des modes de pensée indiens. Il n’y a peut-être eu que Hollande, un jour en campagne, avec son inénarrable Moi président… (de là à en faire un Indien…)
« je suis très très « poreux », en fait : me laisse traverser facilement par les mots des autres, aime rebondir sur les mots des autres, glisser sur leurs mots, dériver sur leurs mots » — A qui le dites vous. Je ne peux m’empêcher de citer les autres, et tant pis si c’est un peu facile. Je devrais laisser reposer plus longtemps.
En même temps, le vieux Malt Olbren m’a influencé, avec son exercice sur la foule et la question de la voix off en filigrane. Bref, faut bricoler ! D’ailleurs, cette litanie de « Je suis… », autant de voix off dans la seule voix de Vincent Konstantin ?
et pour rapidement répondre, très cher Will, à votre remarque sur les mots des autres et la porosité, j’ajouterai ceci : il y a les mots des autres qu’on apprécie tels quels et qu’on cite tels quels MAIS MAIS MAIS (et, là, perso, je me régale à le faire) il y a aussi dire le chemin que ces mots tracent en nous, dire ce qu’ils déclenchent, les connexions qu’ils induisent en nous… bref : il y a l’impact de ces mots, ce qu’ils déclenchent comme imaginaire, inventions, sensations… écrire ces impacts est l’un de mes plus grands plaisirs, oui !
Sidérant.! Il y a une vitalité désespérée dans ce personnage . Ça emporte à la lecture. Pris beaucoup de plaisir à la lecture.
haha ! un tout grand merci pour votre commentaire, Christian ! je me demandais justement si quelque chose de cette vitalité désespérée passerait la rampe de la lecture ! a bin, oui, chez vous, en tout cas, il y a de ça qui est passé ! et puis aussi : content que ce « désespoir vital » apporte aussi son lot de plaisir, à la lecture ! beau dimanche à vous !
Cet être suspendu pulse. Cris et forces. Démiurge. Il irradie et convoque la vie. On se bouge avec ce texte. Superbe vision qui nous propulse vers des pluss.
a bin ! merci de votre lecture, Louise ! je suis heureux que vous ayez ressenti tout cela à la lecture de la chose ! bon w.e. à vous !
J’aime beaucoup quand tu vagis dans une poussette Vincent ! Arf !
En vrai, au fil des lectures, on s’attache beaucoup à Konstantin, je trouve. Il y a quelque chose de très fort, de très « vrai », dans ce texte. Chacun peut s’y reconnaître. La sensation d’une humanité commune, de ce qu’on peut partager avec tous, en même temps que le délire très singulier. Il y a tout ça, et un peu de présent continu, aussi. Non ?
En tout cas bravo, ça sent, oui, le gros travail derrière le texte.
a bin a bin, j’avoue que ce texte est en train de se faire « à mon insu » : des choses passent et je les capte sans savoir que je les capte ! merci, grand merci, pour ton retour, Juliette ! j’aime bien cette piste que tu donnes « d’humanité commune » et puis : très content que tu t’attaches à Peterzhak aussi ! et oui oui, il y a là qqch d’une espèce de présent continu, c’est comme ça que je le sens, comme ça que je le vois aussi !
bref bref : merci pour tes mots, amie !
Je trouve votre texte kaléidoscopique fascinant ! Il emporte,projette dans tous les sens et ne laisse pas tomber. Un je universel.
merci, Huguette, pour votre lecture et votre commentaire : je croisais les doigts pour que ce « je » soit perçu comme universel et, pour vous, oui, ça a marché ! content !
Poreux c’est bien le mot Konstantin en état de porosité extrême, habité par tous et toutes et tellement que ça parle au tréfonds et tellement on est surpris déplacé bousculé bouleversé . On est toujours dans l’épopée ? Il va falloir pouvoir lire tout cet ensemble un jour quelque part, non ? Ou l’entendre… j’aime l’idée de ces bricolages de mots glanés, la cueillette est belle, Vincent, bien belle…
salut Catherine ! a ça, une partie, déjà, de l’épopée va sortir tout vite en livre (en mars, en fait, aux éditions Lanskine) et, pour le reste, ce qui continue à s’écrire, eh bien, je me dis qu’il y aura un jour matière à un second volume ! et puis : merci de ta lecture aussi ! des bises !
D’abord j’ai cru à un texte d’auteur je veux dire célèbre lol que tu partageais pour nous aider dans la prop 4. Puis réalisé qu’il était de toi. Subjuguée deux fois ! Poreux et universel et grand merci ! Je m’en vais m’abonner…
haha ! c’est tout bon, ça ! merci pour ton commentaire, Anne ! (j’aime bien « jouer au grand auteur » ! hihi !) bonne après-midi à toi !