Prop #1, Sol de marche

Reprise…

Tu poses ton sac lourd, d’un mouvement d’épaule, tu souffles, tu défais ta chemise trempée, tu la pose sur tes épaules, et tu viens t’asseoir, sur moi, le dos contre l’arbre.

Je cherche un peu de confort pour mon dos, le tronc du châtaignier est dur, ma chemise trempée est froide sur ma peau dénudée, je frémis.

Tu as choisi l’endroit, pour me voir, de près, au loin, mes collines, mes adrets, mon manteau de châtaigniers et mes écharpes de genets, et ton regard me caresse, éblouissement de jeunesse.

Mes mains s’agitent, j’essaie maladroitement d’écarter les quelques mouches qui viennent troubler mon repos, je souffle et je vois.

Je te porte depuis ce matin, ma terre se fait la plus douce possible sous ton pas lourd, du mieux que je peux, tu es tant chargé et parfois si maladroit dans ton pas – que viens-tu chercher par ici ? les bergers sont partis depuis longtemps, les paysans m’ont déserté, et te voilà, toi – tu ne me parles pas, tu m’écoutes à peine, et pourtant tu me regardes si amoureusement – que cherches-tu ? toi ? moi ? l’oubli ? l’effort ?

Je regarde sans regarder, je suis là, et là-bas. Je sens dans mes jambes la montée de ce matin, et, d’un coup, je suis les collines qui m’envahissent, je souris.

J’entends, je sens, ton sang pulser, je vois ta peau rougie, tu souffles, je sens tes muscles durcis, tu souris – mais à qui ? pas à moi – tu souris, et tu t’allonges maintenant, le dos dans l’herbe au bord du chemin, les bras presque en croix, tu veux te fondre dans ma terre, t’enfoncer – tu veux devenir quoi ? herbe, feuilles, motte, buisson ?

Allongé, je sens encore plus la terre, je me sens terre, je me rêve elfe, troll, mi homme, mi arbre, je me sens tout petit, et je me vois immense, prêt à tenir toutes les collines entre mes bras. Je me rêve, mi homme, mi aigle, mi busard, Mon regard se voile.

Tu te rêves faune, mais sais-tu de quoi sont faites mes collines ? Entends-tu les pleurs, les larmes, les cris dont mes collines sont pleines, connais-tu le sang, le goût du sang dont je me suis longtemps nourri ? Je n’ai jamais été très nourricière, comme vous dites, pour tes ancêtres, ils m’ont gratté, creusé, déformé, mais je suis souvent resté ingrate, et maintenant je me sens seule, et tu ne m’écoutes pas, tu rêves…

Un léger souffle me fait frissonner, j’ai l’impression de me réveiller, mais de quel sommeil ? Je n’entends plus que les mouches, je ne sens plus que les herbes qui grattent mon dos, je sens la soif et j’ai hâte de la route qui vient. Je me lève, remets ma chemise, soulève mon sac, les premiers pas sont les plus fastidieux, je sais, mais je connais la joie de la lenteur.