Fin de l’histoire : ce mercredi 6 juillet 2011 à 12h15 il arrive à Asnières par la station Les Agnettes, terminus de la ligne 13. Le périmètre a été entouré de barrières et de barbelés, sécurisé. Voici le McDonald’s et ses employés désœuvrés qui fument leur cigarette sur l’allée du drive, les gardiens du stade Leo-Lagrange qui mangent leurs sandwichs à l’ombre des gradins, les habitants du quartier, résidents des Gentianes condamnées ou du Luth tout proche, qui piqueniquent en attendant la destruction. Les policiers municipaux, pompiers, journalistes, employés de mairie en gilets orange vont et viennent, s’assurent que personne ne cherche à enjamber les barrières, que le vide est bien vide, les procédures respectées. Il s’installe sur un bout de trottoir. Face à lui, à 200 m., soutenues par une armature de métal et chargées d’explosifs, les Gentianes. 15 étages, 100m. de long – une barre d’habitation construite en 1967, façade blanche et bleue rythmée de balcons. Une immense banderole a été fixée aux derniers étages : « LES GENTIANES – OPHLM 92 – 6 JUILLET 2011 ». En février, lors de sa première exploration des environs, un tiers du bâtiment était encore habité – la vie continuait avant la grande dispersion aux quatre coins de la région et, pour certains résidents, au-delà, bien au-delà. Aujourd’hui tout est en place et pourtant rien n’est plus pareil. Des étranges présences de ces derniers mois ne reste que le Combi VW garé devant l’entrée de l’escalier C. Il aura donc été décidé de le faire disparaître en même temps que le bâtiment. En attendant l’heure fatidique il fait le tour du périmètre interdit. De l’autre côté des Gentianes verticales s’étend l’horizontale de la ville des morts : le cimetière de Bois-Colombes et ses quelques cyprès. Que pensent les morts de 70, ceux de 14, ceux de 40 de ce nouveau changement de décor ? Eux qui ont connu la plaine des maraîchers, la construction du port fluvial, les cabanes fumantes des Portugais, tous ces bouleversements du terrain alentour, jusqu’aux Gentianes – ombre devenue familière sur leurs couvercles de granit – que savent-ils de l’imminente destruction ? Il longe le cimetière. De ce côté-ci du chantier les spectateurs sont peu nombreux. Soudain, là-haut, quelque chose attire son regard. Escalier B, quatrième étage. Une lueur verte et jaune, mauvaise, comme une lanterne qu’agiterait la main d’un naufrageur. Sa lumière tangue dix, vingt, trente secondes puis disparaît, soufflée. Quelque chose se passe encore à l’intérieur. Malgré les murs de parpaings et les portes condamnées ils ne seront pas arrivés à supprimer ce qui possède les lieux.
Ne reste plus qu’à noyer sa peine au parc des Chanteraines…
Ton texte en convoque deux autres pour moi, très admirés : La Fabrication de la Guerre civile (Cité des Pigeonniers ) de Charles Robinson et La petite Lumière de Antonio Moresco. Je n’aurais jamais pensé qu’ils avaient une frontière commune et sûrement n’en avaient-ils aucune avant ton texte.
Sinon, il me semble évidemment que ce Combi VW est promis à une grande carrière en littérature.
Merci, Emmanuelle. Je ne connais pas ces deux textes. Très intrigué je prends mon Combi VW pour partir à leur recherche !
le décor est planté! et c’est comme si le temps était suspendu, l’attente.
hâte d’en savoir davantage…
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