une porte toujours fermée et collée d’affiches, des numéros de téléphone, des petites annonces, des voyants certains de te prédire l’avenir et de te donner l’amour, l’amour à portée de rue, à portée de portefeuille, des affiches imprimées jet d’encre dégueulasse, des palmiers qui bavent leur encre jaune dans une mer pas franchement claire, des cartes graisseuses de plats qu’on a jamais goûtés: un long couloir vers une salle sombre, quelques tables et chaises qui n’ont pas vu de clients depuis longtemps, supportent patiemment les culs lourds qui se laissent tomber, comptent liasses de billets et tours de passe-passe.
une porte de grange, comme on en voit dans cette région, une haute porte de grange, tout de bois, qui laisse passer le jour, qui habille toute la façade et se ferme avec de lourds loquets et barres de fer: derrière le clair-obscur large et haut, là où on n’avait jamais le droit de pénétrer, matériel agricole et de jardin, bottes de caoutchouc abandonnées, bottes de foin dont on ne sait plus si on les a rêvés ou si elles ont vraiment existé, on se souviendrait presque de la piqûre du foin sur les jambes nues des robes d’été endimanchées, on se serait perdue ici à chercher les œufs, les lapins ou les cloches, on se serait perdue là à contempler le plafond haut, le bois sombre, et à sentir la solitude ramper dans nos os comme le corps froid du serpent.
des portes closes, des portes de voitures, ou plutôt celle d’un camion, un de ces camions qu’on voit filer sur les routes l’été, toutes fenêtres ouvertes, mais là, toutes les portes sont bien fermées, un camion qui s’envole aux portes verrouillées, closes sur l’extérieur: ça fuit pourtant, ça n’est jamais étanche, les souvenirs et le monde, les rêves et la réalité tangible, ça fuit, ça s’infiltre, l’eau s’infiltre, force toutes les serrures, le camion coule, toutes portes fermées, l’eau prend le dessus, l’équipage s’évanouit.
une porte cachée dans les broussailles, envahie de ronces et de mauvaises herbes, la peinture attaquée par l’humidité toute proche, parsemée d’étoiles, de stickers et d’inscriptions faites à la pointe du couteau: le fond d’un jardin qui disparaît sous les branches, le début d’une ouverture de vert au beau milieu de la ville.
une porte qui se balade toute seule sur un plateau de théâtre, une porte portée à bout de bras par une drôle d’exploratrice en combinaison orange, une porte qui voltige, grince, et finit par s’ouvrir, soulevant l’air quand elle atterrit au sol: un escalier qui s’ouvre vers la cave, un escalier qui descend vers le cœur, vers les souvenirs de là où on a grandi, de l’enfance qui s’est enfuie, et la porte qui se referme, le noir qui s’agite et hurle dans la tête.
Ça fait plaisir de retrouver ton écriture forte. Elles embarquent, tes portes…
Ces portes devant lesquelles tu nous fais passer, pas besoin de les pousser, elles ouvrent déjà vers des rêves, qui dérangent, certains. C’est fort.