Cette ville n’est pas une inconnue. L’arrivée sur ce quai au bout duquel personne n’attend, un long désir la précède. Le piétinement des voyageurs qui se suivent l’un l’autre, le roulement de leurs bagages, ralentissent l’élan sous la haute verrière où se perd l’écho des annonces, et l’oreille, ignorante d’une langue jamais entendue jusque là, est d’autant plus sensible à ses sonorités. Le cœur curieux de la rencontre qui se rapproche, l’œil attiré par tout et par n’importe qui, fixe plus intensément la lumière de la sortie filtrée par les portes vitrées, là-bas, dans le hall aux couleurs claires, un lustre de cristal pendant sous la coupole, et soudain, tout un comité d’accueil se presse dans la transparence de l’air, trop nombreux pour venir à l’esprit tout entier, figures de romans et musiciens célèbres, lignages royaux patiemment étudiés, un astronome, un dramaturge militant, une photographe en jupe courte, des statues baroques.
Inattendue au seuil de la ville, première image : un bâtiment bas, large, un toit de tuile au-delà d’une avenue trop large, trop grise, trop pleine de voies de circulation. Retour de l’œil sur la façade de la gare, mi-brique, mi-crème (un art de mauvais pâtissier), une tour-lanterne de chaque côté (une architecture d’usine), et entre les deux une grande lunette cerclée de bronze vert. Les couleurs de la ville ne sont pas celles des rêveries. Il n’y a pas dans les livres d’histoire le souffle poussif des bus sur le bitume qui pue. Il n’y a au cinéma que des volées de toits, caméra suspendue. Il y a, au seuil de la rencontre, la crainte que la réalité ne fasse obstacle à une perception qui s’accorde à l’âme, et qu’après tant d’ardente curiosité, seule la déception soit au rendez-vous.