#anthologie #02 | Salon



On entrerait par une marche au nez de bois donnant sur sol de ciment gris dans l’attente d’un parquet, donc des temps meilleurs avec deniers, beurre et vin rosé, en face une femme aux cheveux dénoués, de dos, debout devant un piano ouvert, se frotterait les mains vigoureusement pour les réchauffer, à droite immédiatement une banquette recouverte d’un mandala de coton ardoise délavé, sans coussins, mur blanc avec bosses et creux noircis par les corps s’y étant appuyé, puis mur Est une grande armoire blonde, pièce maîtresse du futur intérieur des temps meilleurs, posée donc sur cet idéal parquet marqueté pour l’instant gris et poussiéreux d’un ciment qu’on n’en finirait pas de balayer, cette armoire à corniche entrebâillée sur des étagères de vêtements, le tiroir du bas de guingois laissant entrevoir des vrac de photos argentiques, sur le dessus desquelles une chemise blanc cassé en papier granuleux estampillée lycée Victor Hugo 1973, encore un pan de mur blanc non lissé, puis mur Nord le petit piano d’étude ouvert, non standard car il manquerait une octave, en bois vernis marron foncé, marque Zender en lettres dorées inscrites au-dessus du couvercle, sur lequel à gauche seraient posées deux piles de partitions aux bords fatigués, au dos de l’une d’elles : le clavier bien tempéré, deux chaises paillées assez basses devant ce clavier, leurs barreaux criblés de trous de vers attendant les temps de beurre de xylophène pinceaux et vins rosés, la femme dans un châle en laine noire frangée assise là les pieds calés sur un barreau, penchée, écrivant au crayon sur une partition posée sur ses genoux, à gauche un placard du sol au plafond, incrusté dans le mur, les portes aux boutons de laiton dépareillés recouvertes d’un ancien papier peint fleuri de roses et de bleuets, un plafond blanc à poutres inégales marron foncé, une ampoule allumée, recouverte de chiures et pendue au bout d’un fil à peu près au milieu, puis le mur de la fenêtre, avec une embrasure profonde d’un mètre cinquante, la hauteur sous plafond s’y rétrécissant, la petite fenêtre au fond, en bois marron, sous laquelle on verrait un toit à tuiles rondes en pente douce, en face d’autres remparts ou pans de mur en pierre, un ciel immaculé balayé de mistral, puis la bibliothèque en planches soutenues par des empilements de briques réfractaires, lesquelles seraient ultérieurement destinées à maçonner un bord de cheminée, contenant en attendant à chaque bout de planche les livres en même temps que servant de piliers, livres de poche, les Balzac et Zola lus au lycée, les Dingodossiers, les aventures du chat de Fat Freddy (qui ultérieurement dans des temps meilleurs seraient remplacées par celles d’un vrai chat puis par les aventures du chat du Dalaïlama), des bougies maison des colliers de rocaille des bagues enfilées sur des doigts de porcelaine des échantillons de parfum dans une corbeille en osier des bouteilles en verre soufflé une théière japonaise émaillée une théière en grès rouge une collection incomplète de boîtes gigogne en carton du khôl des enveloppes au bord bleu blanc rouge une collection de crayons gris debout dans un pot de fleur, des livres d’art jamais ouverts, une photocopie des danseuses bleues de Degas, la photo d’une fillette sur un bateau mouche accompagnée d’une grand-mère allumant une cigarette au bout d’un fume-cigarette forcément doré, toutes les deux en lunettes de soleil bras nus et robes repassées.

A propos de Valérie Mondamert

J'anime des ateliers d'écriture dans les Alpes de Haute-Provence depuis dix huit ans, (DU d'animateur en atelier d'écriture en 2006, à Marseille), je suis prof de musique et je mêle avec joie les deux fonctions. J'ai publié des récits.

4 commentaires à propos de “#anthologie #02 | Salon”

  1. Superbe phrase qui n’en finit pas et qui raconte l’épaisseur du temps, l’attente des jours meilleurs pour finir sur l’image de cette photo d’une fillette sur un bateau mouche accompagnée d’une grand-mère allumant une cigarette au bout d’un fume-cigarette forcément doré, toutes les deux en lunettes de soleil bras nus et robes repassées.
    Délicieux. Merci

  2. Sous l’eau d’une cascade abondante, cette phrase n’en finit pas de nous emporter dans cet intérieur si finement ciselé et si parfaitement décrit. Beau moment. Merci.

  3. Un morceau de bravoure très réussi, j’aime particulièrement la référence récurrente aux temps meilleurs.