Une grande chambre à l’étage d’une ancienne maison. On monte l’escalier bien raide en bois qui craque sous les pieds. Le sol aussi est en bois. Ça sent bizarre, un peu la poussière, un peu l’odeur de renfermé, un peu une odeur indescriptible d’antan. Derrière les portes des imposants placards, un passé familial se cache silencieusement dans l’éternité. Des cahiers d’école du siècle passé, un vieux bouquin de grammaire. Une collection de pierre semi-précieuses à moitié finie, de drôles de cailloux ramassés par-ci par-là. Une vieille enceinte des années 70 au fond du placard, on ne sait même pas si elle marche. Dans le placard du milieu, il y a des vieilles fringues démodées laissées à l’abandon. Sur les étagères, des vieux gris-gris sans intérêt et de la poussière. Dans le dernier placard, un projecteur et des albums photos. On allume le projecteur face au mur blanc. Sur les photos, une femme bien apprêtée avec ses enfants. On ne sait pas si elle est heureuse : elle affiche un sourire triste. Une grand-mère qui a du caractère : elle fronce les sourcils. Trois enfants insouciants qui font des bêtises : on les entendrait presque rire. Un mari au regard sournois : il cache son jeu. Aucune photo n’a de légende écrite, ni dans les albums, ni sur les diapositives du projecteur.
Des enfants insouciants qui font des bêtises : on les entendrait presque rire. Un mari au regard sournois : il cache son jeu. Ces gens là étaient mes parents, mes frères et ma grand-mère. Je me souviens qu’avant de prendre la pose une dispute avait éclaté entre les adultes.
Une vieille enceinte dans années 70 au fond du placard, on ne sait même pas si elle marche. Mon petit frère Jean tente de l’allumer mais un son saccadé en sors. Alors il touche l’antenne et on distingue un son, puis plusieurs et enfin une musique. Il me semble que c’est les Beatles! Une larme coule sur le visage de Jean. Je le serre bien fort dans mes bras et prend conscience que grand-mère n’est plus là.
Le vielle dame se lève, éteins le projecteur et rallume la lumière. « J’ai peu de photos mais prends plaisir à les revoir. » me dit-elle en souriant innocemment. Elle a tenu à me montrer ces photos, les quelques mois passés avec elle l’ont « Habitué à moi ». « Ce sont de très belles photos dis-je en retour, maintenant il est l’heure de la piqûre. »
Un mari au regard sournois les découpera pour en faire un bon petit plat
Aucune photo n’a de légende écrite, ni dans les albums, ni sur les disquettes du projecteur. C’est en interrogeant le propriétaire actuel des lieux que j’en appris un peu plus : c’est l’histoire d’un sombre drame familial. Un à un les enfants avaient été décimés par une malédiction pesante sur la famille; l’un s’est noyé, l’autre pendu, l’autre à avalé par mégarde du cyanure, un autre fauché par une voiture. La grand-mère s’était laissé mourir tandis que le père avait fuit. La mère s’était réfugiée dans cette maison, elle arpentait les couloirs comme une morte, il était difficile de savoir vraiment comment elle avait finit par disparaît totalement un jour. Peut-être était-elle encore là.
En entendant ça, je me maudissais d’avoir demandé, j’aurais préféré ne rien savoir. J’arpentais désormais les couloirs avec un frisson.
Sur les photos, une femme bien apprêtée avec ses enfants. Elle affiche un sourire triste. Elle fronce les sourcils.
Cinquante ans plus tôt…
« Attention tenez-vous prêt pour la photo, 1,2,3 »
Et un étourdissant flash m’aveugla. Les enfants sont intenables, ils n’arrêtent pas de se chamailler et de tirer sur le veste de l’autre. Emile en à rien à faire, il pose fièrement pour la photo. Je ne sais pas si je suis vraiment heureuse de cette vie là. J’aime mon mari et mes enfants mais je n’aime pas ma vie. Il n’y a plus aucune folie, tout est devenue fade, je suis enchainée, piégé, y a t-il quelqu’un pour me libérer ?
L’image violente ça tape au mur, paf. L’image éclatée on voit des yeux on voit des mains on voit des cols sales on voit le sourire bleu, là, quelque part, le regard là flou, du mur. La fixité étrange ; j’ai mal à l’étrangeté spectaculaire du temps qui flotte sur ces visages d’absence, mous, superposés. C’est eux. C’est drôle.
» Je connais assez bien l’endroit, c’est une grande partie de ma vie, une maison où il n’y a pas eu que du malheur, bien au contraire. L’ancienne propriétaire recevait tout le monde à bras ouverts et distribuait du bonheur à volonté. A l’époque, c’était la maison du bonheur et j’essaye de lui redonner un peu de sa gradeur perdue. » (Yannick)