1. Petit corps de chauffe ; chaleur provisoire, éphémère. Assemblage d’alliage de fer sursaturé en carbone, vernissé mat, à la densité excellente. Chaufferette, bien plus que haut-fourneau, et même que radiateur. En d’approximatifs rapprochements, on aurait facilement envie de lui associer les vocables de « liquation », « coulabilité ». Sa fonction et sa matière induisent ces mots techniques. Sa fonction et sa matière évoquent la transitionnalité d’un objet par le corps maternel. Petit poêle, petit pot de poids remarquable vis-à-vis de sa taille, on croirait une gueuse à caler la soif. Sacoche ou, aussi, gourde, contient des plantes et des liquides le plus souvent chauds, sans être en fusion. Creuset à arômes complexes, vase à vapeurs odorantes. Bloc parallélépipédique moulé aux côtés trapézoïdaux, aux faces supérieure et inférieure carrées.
2. Chaufferette, bien plus que haut-fourneau, mais quand même rouge et noir ! On aurait facilement envie de lui associer les vocables de « liquation », « coulabilité ». Sa fonction et sa matière induisent ces mots techniques, ces termes de fonderie. Ces tournures de corps maternel.
Il y a des possibilité diverses de considérer cet objet. Cette gueuse à caler la soif. Ce creuset à arômes complexes, ce vase à vapeurs odorantes. Pourtant, l’appréhender « en bloc » est le premier affect. Pièce relativement petite, de substance remarquablement pesante. Mais elle forme un tout plus ou moins hétérogène. C’est un assemblage de morceaux joints, soudés, articulés ; et disjoints, mobiles (désolidarisables à la rigueur).
Son déversoir creux de gourde a une gueule en forme de « r cursive » italique. Est-il soudé ou moulé sur le corps de chauffe ? Au toucher, on dirait moulé. La soudure serait bien trop lisse et bien faite (c’est une théière « industrielle »).
Sa poignée forme un rectangle aux angles arrondis. Contrairement au reste des parties (granuleuses ou striées), l’anse est absolument lisse. Elle suit une courbure « en plein-et-délié » élégant. Sa section est circulaire, mais de diamètre progressif / dégressif. Ses extrémités sont insérées en force dans deux petits renflements creusés, et ça lui permet le pivotement, toutefois bloqué par les bords de la face supérieure carrée.
Afin de fermer le bloc noir au plus hermétique, un disque mobile, rouge et désolidarisé sert de surface (c)ouvrante, protectrice. Pour prémunir sa cavité de « gourde ». Pour recouvrir sa « sacoche », petit filet en inox prêt à accueillir la plante, le charme à infuser, Au centre du disque, un petit « champignon » est soudé (on voit la marque du fer). On dirait un bouton de tiroir à l’ancienne, qui sert à soulever, à ouvrir et à replacer lors du remplissage de la « cruche » sans se brûler. Il est pratique pour retirer aisément la « sacoche » en vue de remplacer son contenu concocté. Chose curieuse, un petit trou rond est percé aux deux tiers du rayon du cercle. Est-il destiné à laisser passer la vapeur ? à aérer les liquides le plus souvent chauds, sans être en fusion ?
Le petit corps de chauffe, la chaufferette-bloc, prend appui sur une structure plate et peu épaisse ; non solidaire. Cette surface plane a pour usage d’isoler une table de la chaleur du creuset à arômes. Ce support plan, carré et accidenté, est strié en soixante-quatre plus petits carrés, eux-mêmes striés de lignes et disposés « tête-bêche ». L’entrecroisement formé réduit déjà bien les chances de glissement. Cette pièce, indispensable au tout (plus ou moins hétérogène), repose, pour finir, sur trois (pourquoi pas quatre ?) courts plots en caoutchouc souple mais dur évitant définitivement tout glissement intempestif par frottement.
3. De cette théière : une histoire discordante, peu cohérente. Bien que…
Chose utilitaire, fabriquée industriellement, vu son prix modique. Rencontrée dans un bazar indien du quartier chinois. Achetée avec en tête le pur prétexte, parti-pris manquant de conviction, de me mettre, enfin, grâce à elle, à boire du thé. Objet pas vraiment désiré puisque destiné à quelque but improbable, c’est l’accord noir-rouge-fonte qui, j’en suis sûr, m’a attiré, après examen visuel et vérification manuelle de son poids considérable — petit pot de poids remarquable vis-à-vis de sa taille. Les idéogrammes chinois tamponnés sur le dessous ont entériné ma décision.
À la remarquable pesanteur de l’instrument, s’est immédiatement ajoutée la charge de ma résolution : par son entremise, aimer boire du thé. Comme il s’est dû, j’ai, comme contre mon gré, évité, écarté, relégué après deux ou trois essais peu probants, et pendant des années, cette petite chaufferette, gueuse prometteuse à caler ma soif. Je l’ai traitée avec un certain mépris, tout en lui reconnaissant une certaine beauté aux proportions ramassées. Objet transitionnel trouvé-créé ? sans cesse abandonné, puis mis à jour, remanié ? Passage du subjectif à l’objectif ? Le charme, lent, infusait. « Liquation », « coulabilité » ? que sais-je ? À cette heure, je dis que c’est le seul ustensile parmi les choses du thé qui m’a pour de bon amené à ce breuvage… mais j’évoque prudemment l’histoire d’une rencontre qui reste à prolonger encore et encore jusqu’à la disparition définitive d’efforts. Cette théière réussirait-elle à me faire à la fin tenir ma résolution ? une des solutions plus ou moins opiniâtres que je m’oblige à instaurer pour contrer d’autres boissons ? Ère nouvelle quant aux breuvages que j’expérimente avec joie. Creuset à arômes complexes, vase à vapeurs odorantes. Transition compliquée.
4. Il a fallu chercher. J’ai passé en revue trucs et machins de la maison, puis plus près de moi. Mais il faut me rendre à l’évidence : la théière, seule, s’impose ici comme chose à décrire. Il ne s’agit en rien d’écrire « à son sujet », mais bien de l’« objectiver par les mots ». Quitte à découvrir que ladite chose, passant du subjectif à l’objectif (et vice-versa… mot seyant pour une théière), est « transitionnelle ».
La première impression, pensée manifestée est : « corps de chauffe ». (Tout de suite, le corps.) Le mot « fonte » est le suivant. De là, étude du vocabulaire de la fonderie : « liquation », « coulabilité » « haut-fourneau » « poêle », etc. S’enchaînent des associations sur la matière, le poids, le contenant et le contenu. Puis se présentent les détails de la chose ; sa « décomposition-recomposition » en parties liées-déliées, en textures (lisse-strié, granuleux), en couleurs (en coulures ?). La description formelle « coule » de soi-même, à l’aide de la synonymie, créant par infusion et développement une effusion de particularités exposées. S’entrelacent en parti-pris et, petit à petit, en échos de recopiage les bribes du premier relevé d’expression. Des formules telles que « gueuse à caler la soif », par exemple. D’autres arrivant, comme « charme à infuser ».
L’« histoire », avec ses allées et venues, l’expression de mes hésitations, de mes attirances et de mes rejets sur une longue période est issue de quatre acrostiches à partir des mots : FONTE ; THÉIÈRE ; TCHAI ; LAIT. Chaque lettre initiale induisant une phrase pseudo-automatique d’analogies (?), rattachée à mes ressentis vis-à-vis de la théière. L’« histoire » n’amène pas immédiatement la notion psychanalytique d’« objet transitionnel ». Ce n’est qu’un éclairage possible… mais qui débarque en cours d’écriture comme une forte potentialité.
5. Petit corps de chauffe
(tout de suite, le corps) ; chaleur provisoire, éphémère. Assemblage d’alliage
de fer sursaturé en carbone, vernissé mat (lisse-strié, granuleux), en couleurs,
en coulures. Chaufferette, bien plus que radiateur ou, pire, haut-fourneau,
mais quand même rouge et noir ! On aurait facilement envie de lui associer
les vocables de « liquation », « coulabilité ». Sa fonction
et sa matière induisent ces mots techniques, ces termes de fonderie. Ces
tournures désirant dire, par ailleurs, un sein maternel. Bloc parallélépipédique
moulé aux côtés trapézoïdaux, aux faces supérieure et inférieure carrées. C’est
un assemblage de morceaux joints, soudés, articulés ; et disjoints,
mobiles (désolidarisables à la rigueur). Pourtant, l’appréhender « en
bloc » est le premier affect.
Objet transitionnel trouvé-créé ? sans cesse abandonné, puis mis à jour, remanié ? Je l’ai traité avec un
certain mépris, tout en lui reconnaissant une certaine beauté aux proportions
ramassées. Un charme, lent, a infusé. Cette théière réussirait-elle à me faire
à la fin tenir ma résolution ? Aimer le thé. Ère nouvelle quant aux concoctions
que j’expérimente avec joie. Creuset à arômes complexes, vase à vapeurs
odorantes. Transition compliquée. C’est le seul ustensile qui m’a pour de bon
amené à ce breuvage… mais la rencontre reste à prolonger encore et encore
jusqu’à la disparition définitive d’efforts. Sacoche ou, aussi, gourde,
contient des plantes et des liquides le plus souvent chauds, sans être en
fusion. Petit poêle, petit pot de poids remarquable vis-à-vis de sa taille, on
croirait une gueuse à caler la soif.
ah je l’aime bien cette petite théière en fonte lourde par le poids mais légère à lire…
Merci beaucoup, Catherine !
Finalement, en m’appliquant, je me suis pris au jeu. Ce n’était pas gagné !
Tenter de s’approcher un tant soit peu de Ponge est un exercice plus que difficile pour moi.
J’adore. Avec tout au long des 5 versions ces metaphores induites sur l’ecriture et les textes et même la proposition elle-même. Incroyablement riche pour une théière. Merci
Un grand merci à vous, Anne !
Ponge m’a toujours fait un peu peur… c’était un vrai défi d’écriture.