Au début, ma bibliothèque s’est organisée toute seule sur cinquante centimètres d’étagère fixée au dessus de mon bureau d’écolière dans ma chambre. Lorsque j’étais enfant, j’avais quelques livres à moi. Je ne parle pas des livres scolaires, ils appartenaient à la coopérative des parents d’élèves. Il ne m’est jamais venu à l’esprit de les considérer comme des livres inclus dans ma bibliothèque. Ensuite il y avait les livres appartenant temporairement à ma bibliothèque, ceux-là venaient de la bibliothèque municipale et logeaient quelques semaines sur l’étagère, puis repartaient. Et il y avait mes propres livres, le plus souvent reçus comme cadeaux, ils étaient de trois sortes : la bibliothèque rose, puis verte en grandissant, les contes et légendes du monde et quelques autres sans points communs. Cette première bibliothèque s’est délitée avec le temps. Il ne m’en reste rien.
Pendant longtemps, il n’était pas nécessaire de ranger ma bibliothèque, les livres s’alignaient les uns à côté des autres, dans l’ordre d’arrivée, dans l’ordre de lecture. La grande séparation concernait les livres, format broché ou format poche, et sur des étagères plus hautes les BD. Quelques beaux livres allaient s’aventurer du côté des BD pour des raisons morphologiques. La recherche d’un volume était réalisée par mémoire visuelle, elle était assez rapide. Jusqu’au jour où nous avons été plusieurs à partager cette bibliothèque, les livres ont commencé à passer d’une étagère à l’autre. Les retrouver demandait la lecture fastidieuse des tranches, en tournant la tête pour les tranches inversées.
Mes bibliothèques survivaient difficilement aux déménagements, aux espaces partagés avec ma fratrie puis mes colocataires, aux emprunts, aux évolutions de mes goûts littéraires. La longévité de l’actuelle dépasse le quart de siècle, je suis peut-être parvenue à une étape fondamentale où la question de pourquoi ranger sa bibliothèque est devenue comment ranger sa bibliothèque.
Le classement par ordre alphabétique tel que pratiqué dans les médiathèques municipales et les librairies est facile à mettre en place. Encore faut-il choisir l’item du classement : le titre ou l’auteur ? Et pour l’auteur, le nom puis le prénom ou l’inverse ? S’il y a plusieurs auteurs pour un même ouvrage, lequel choisir. Ou pire, pour l’auteur préféré dont on a la collection complète, quel est le sous-critère ? Le premier défaut de ce classement c’est l’aspect désordonné du résultat sur l’étagère, aucun livre n’est aligné, les très gros coincent les petits formats. Parfois les petits formats glissent le long des très gros et se perdent au fond de l’étagère, ils finissent oubliés et réapparaissent des années après fanés, oubliés. Pour éviter de remanier le rangement à chaque nouveau titre il faut attribuer des lettres à chaque étagère et prévoir des espaces vides qui peuvent le rester longtemps. Le pire inconvénient de ce classement, c’est la mémoire : c’était quoi le titre ? c’était qui l’auteur de … ?
J’hésite entre les critères, j’essaye pendant quelques mois le classement par genre, l’imaginaire côté fenêtre, la littérature classique et les essais au milieu, les policiers côté porte d’entrée, avec comme sous-critères les auteurs et une distinction supplémentaire sur le format : poches/brochés, beaux livres, pléiade. Ce classement est évident, je ne prend pas la peine de l’expliquer à mes proches. Il le faudrait pourtant car les livres recommencent à circuler entre les étagères. Lorsque l’entropie sera trop grande, j’essayerai autre chose.