La pièce est dans la pénombre les volets sont à demi fermés afin que le soleil ne délave pas les couvertures en cuir de ses livres car il collectionne les livres anciens avec passion. On aperçoit la poussière dans les rais de lumière qui trouent la persienne alors qu’un chat gratte au volet. L’homme vêtu d’un survêtement est penché sur son petit bureau en merisier qu’il a placé devant la vitre. L’imprimante est juste à côté. Sa chaise en bois comporte un dossier sur lequel il s’appuie, son seul confort est d’être agrémentée d’un coussin. La porte de la pièce exigüe est fermée. Pas de bruit. Il tape sur son Mac et l’on entend le frappement sec et régulier que font ses doigts sur le clavier. Le rythme s’accélère car il ne faut pas lâcher l’idée. Il pensait ne jamais pouvoir se servir d’un ordinateur lui qui était si familiarisé au glissement du stylo sur le papier, au plaisir de mettre des mots sur la feuille blanche, la ramette à portée de main. Peu à peu, il s’est habitué et il apprécie même aujourd’hui cette nouvelle cadence de travail et la pensée qui s’affiche au fur et à mesure sur l’écran.
Le rythme s’accélère parfois il ne faut pas lâcher cette idée, elle le pousse en avant et le porte. Il ne regarde même plus ces doigts, il fixe avec attention l’écran et efface les fautes de frappe. Il reste à sa table près d’une heure sans bouger le texte avance, il en est content car cela prend forme. L’écran fait défiler les pages qu’il survole afin d’en améliorer la syntaxe : il aime surtout soigner son style, il aime les énumérations sans fin, les phrases longues qui s’enroulent en spirale ; il invente même des phrases sans verbe s’affranchissant des règles d’usage. Il s’arrête à la fin de la page et va s’étendre quelques instants sur son sofa qui est disposé contre l’un des murs. Sur l’étagère de petites pierres ramassées au gré de ses promenades ; l’une d’elles comporte des facettes avec du mica. Les murs disparaissent derrière les piles de livres: ceux -ci s’amoncellent et de nouveaux rayonnages ont même été ajoutés à la bibliothèque pour ranger ses nouvelles acquisitions. Il se sent bien au milieu d’eux, libres brochés ou cartonnés, livres de collection reliés en velin ; ils sont comme un véritable rempart contre le monde. Il aime les espaces réduits pour travailler de manière plus sereine. Ce sont des lieux qui le rassurent, il rêve parfois d’emmener sa bibliothèque entière sur un bateau et d’y rester bercé au milieu de ses livres. Il somnole quelquefois sur son sofa et s’endort fatigué.
Souvent, c’est la sonnerie de son téléphone portable qui le ramène à la réalité et le tire brutalement de son sommeil. Il décroche et répond rapidement pour un nouveau rendez-vous à fixer. Il prend son agenda et note au crayon l’heure choisie. L’homme sort de la pièce pour se verser une tasse de café, le café est encore chaud car la cafetière est branchée en permanence dans la cuisine. Il a besoin d’un stimulant comme si le café lui donnait les idées claires et ajoutait à sa concentration. La porte vitrée donne sur un balcon, une chaise et une table un peu rouillée y sont installés, leur peinture blanche écaillée réclamerait un sérieux rafraichissement. La terrasse est assez grande on y voit un olivier planté dans un grand pot et des fleurs dans des jardinières bien entretenues. Le chat miaule en voyant l’homme. Celui-ci entrouvre la porte mais l’empêche de rentrer dans la pièce. Il le caresse, sa fourrure est chaude et douce c’est en réalité une chatte blanche avec une tâche noire sur la tête. Elle se laisse faire de bonne grâce pendant un temps mais bien vite un coup de patte assez vif met fin aux échanges. La porte est refermée, la chaleur est assez lourde. Il faut désormais se hâter car l’heure tourne. L’homme enfile prestement son costume en lin et ses mocassins et il quitte précipitamment l’appartement en le fermant à clé pour se rendre à son rendez-vous. Dehors, l’odeur des tilleuls envahit l’air et lui rappelle les tisanes qu’il prenait enfant pour soigner sa trop grande nervosité.
A son retour, son costume de lin froissé est prestement échangé contre le vieux survêtement. Après un dîner vite expédié, le quotidien acheté au kiosque près du métro est lu, alors que l’homme s’est allongé à nouveau sur le sofa. Juste une pause avant que le MAC ne soit à nouveau ouvert. Les mots tapés s’organisent sur l’écran. La nuit est tombée et le silence est brièvement interrompu par le bruit d’une télévision. La concentration reprend et les phrases se suivent et s’organisent jusque tard dans la nuit.