
Glisser sur la marche creusée par des passages renouvelés. Une marche fourbe. S’affaler presque. Se rétablir promptement. Saisir la clenche rouillée. Métal froid, austère. Fermement peser de tout son poids. La clenche grince. Proteste. Regrince . Grince à nouveau. Plaintes réitérées d’une porte désaccordée. Son bois gonflé. Tout le poids du corps vers l’avant. Peser. L’épaule insiste. La porte s’entrouvre. Se glisser comme un chat de gouttière. Des odeurs à l’intérieur captent les narines. Mélange d’épices, de lavande, d’humidité, d’intérieur confiné. Des taches sur les murs. La pièce est petite. Sombre. Peu d’espace. Peu de lumière. Témoins d’une époque révolue. La vie absente. La vie oubliée. La vie passée. Quelques images de cette toute petite femme au chignon blanc. Veuve de capitaine de marine marchande. Solitude souvent. Son jardin comme espace de liberté. Souriante et fragile. Puis la silhouette frêle peu à peu s’estompe. Poursuivre le chemin. Passer sous la glycine. Des marches à nouveau creusées par le temps. Juste pour l’inconfort. Passer devant cette deuxième porte. Ne pas entrer. Laisser venir des images. La cuisinière, le poêle à bois. L’escalier en pin doré vers l’étage. La table ovale. Les tasses à café dépareillées. Le café réchauffé écœurant . Images reléguées aux oubliettes. S’éloigner vers des ailleurs plus urbains. Une porte cochère imposante. Une limite expressive entre l’extérieur et l’intérieur. Sonner. Clic. Pousser vigoureusement cette porte si lourde. Une porte qui ne peut claquer. Retenue par un mécanisme automatique. Passer sous le porche. Les fenêtres des classes alignées sur la cour. Un deuxième porche ouvre sur le parc. Le parc. Lieu des jeux. Des rires. Des pleurs aussi. Ne pleurer sous aucun prétexte. Aucun bruit ne filtre sous les arcades du promenoir. Les classes sont terminées. Les vacances scolaires ont vidé le lieu. Démesurément vide. C’est mieux ainsi. Des portes d’incompréhension. Des portes reléguées dans les abysses de la mémoire. D’autres portes s’ouvrent. Des passages. Des jardins. Des escaliers. Courir dans les escaliers. Sauter à cloche-pied. Se cacher. Jouer à se faire peur. Loin. Très loin.
Codicille Inspirée par la relation Becket et Bram Van Velde , 2 hommes avares en paroles, des temps difficiles partagés, l’amitié comme soutien et compréhension, l’un pour son écriture, l’autre pour sa peinture.
Mots clés Clenche Intrus Odeurs Vie Images Vide
Plaisir réciproque de te lire Annick.
Chouette ta manière d’entrer dans le texte. Cette marche creusée par les passages renouvelés, tout ce qu’on peut imaginer. Et de rebondir sur cette idée avec les marches creusées par le temps un peu plus loin.
Et intéressant de ne pas passer la seconde porte, laisser monter les souvenirs. Ce que tu nous donnes à voir, jusqu’au café réchauffé écœurant.
Et ‘Ne pleurer sous aucun prétexte’, c’est fort.
Et terminer sur une note plus douce… sauter à cloche-pied, se cacher…
Merci pour ce beau texte.
Merci à toi pour cette lecture. Et cette façon si fine de relever les nuances et les liens. Un feed back qui fait grandir pour les prochains textes
Merci à toi Annick…
très beau texte. Merci
Merci Nathalie pour la lecture et le commentaire
les phrases courtes. l’engagement physique la route sinueuse des souvenirs leur afflux les fantômes mais le corps continue à tâtons décidé guidé par les odeurs les matières un fil intérieur. « Une porte cochère imposante. Une limite expressive entre l’extérieur et l’intérieur. » première porte prison peut-être lieu ou ça s’aligne ça rit ça pleure et ça se vide aussi. le chemin reprend les passages les portes retrouvent leur fonction de passeuse d’un monde à l’autre.
Merci pour cette lecture. Et oui, « les portes, les passeuses d’un monde à l’autre » A la fois réalité et métaphore .