Visage c’est squelette, structure avant viande, le dur avant le steak collé par-dessus. Ce qui restera dans la terre quand le superflu rongé, assimilé. Ressemblance, ce qui s’est transmis, nez, front, menton, formes, proportions.
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Ressemble-t-elle à sa mère ?
̶ On ressemble toutes à nos mères. Il faut juste attendre d’être vieille.
̶ Blonde aux yeux bleus ?
̶ La vieille est sans couleurs comme la vieillesse mais elle plus que les autres.
̶ Même sur les photos en noir et blanc on la décrirait ainsi, blonde aux yeux bleus. Mais sa mère, elle a bien dû avoir une couleur avant. Brune ou blonde ?
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Le menton peut-être, un menton qui avance, c’est ce qu’elle tient de sa mère. Le père roux. Comment je le sais ? Entendu dire reflets roux dans la barbe et ça viendrait de lui, le grand-père. Donc sa blondeur pourrait venir de lui, son père.
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Blonde aux yeux bleus – cliché – toi, tu vois une peau laiteuse sur laquelle suivre le trajet des veines d’un bleu tirant sur le vert ou l’inverse – blonde aux yeux bleus – cliché – tu vois un léger embonpoint presqu’indétectable pour les non avertis – le cliché lève le doute – les kilos s’accumuleront avec les années – des seins lourds posés sur le ventre comme s’affaissent les joues – yeux clairs – tu les imagines clairs sur la photo noir et blanc de jeune mariée – bleus, tu optes pour le bleu. Les yeux de son second fils te feront changer d’avis des années plus tard – vert qui tire sur le bleu.
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Visage que tu n’as pas vu mort.
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A quel âge le reverrait-il, s’il n’était mort avant elle ?
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Il faut du temps pour que s’efface le visage de mort, cireux, grisâtre sous le maquillage, visage plus mort que le mort. Combien de temps pour que renaisse celui d’avant, qui souriait, pleurait, grondait, ouvrait grand la bouche pour manger, léchant la cuillère trempée dans le pot de yaourt, suçant des bonbons sans sucre… Même façon de bouger chair du visage et même sans se regarder dans le miroir, sentir le même de l’intérieur et en être mal à l’aise. Garder le secret comme une métamorphose entamée qu’il faut garder cachée le plus longtemps possible de la viande du visage du mort qui grignote la vôtre pour prendre sa place et un jour dans le miroir tout sera fini, vous serez devenue même, substitution réussie. Seule votre prénom continuera de donner le change.
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Avec un fils, la substitution est plus ardue et plus périlleuse. Alors il faut que le visage se trouve un allié. C’est là qu’il convoque le corps.
oui, cette diffraction vrai point de départ pour la mise en atelier…
J’aime ces identités flottantes, ce mystère blond…
Merci Catherine, il faut bien démarrer. 🙂
Ah oui, on rentre en plein dedans ! bravo…
Oui cette ressemblance qui nous rapproche en vieillissant de nos mères ! ce qui nous émeut ou / et nous afflige…
Beaucoup aimé, vraiment !
Merci, Françoise. Si difficile parfois de savoir si ce que j’écris a du sens, est compréhensible.
Lu avec grand plaisir et j’ai beaucoup aimé la chute du texte, les 2 dernières lignes.
Merci, Annick, ton retour est précieux.
ça commence fort et juste
Merci de ton œil bienveillant et rassurant, Brigitte.
j’aime beaucoup aussi, le visage et la mort, que « s’efface le visage de mort », « visage que tu n’as pas vu mort », trouver la mort inscrite sur notre visage, ne pas être capable de la lire de la voir pourtant elle s’y trouve bien cachée, je pense souvent à notre incapacité à voir en nous cette mort qui est là, et tu y trouves une forme de la voir peut-être si je ne me trompe pas dans les visages des mères mais alors ce visage de la mort on voudrait bien l’effacer pour y replacer nos souvenirs de la vie et que restera-t-il de nous simple substitution de visages passés qui se suivent et se substituent de générations en générations de mère en fille (peut-être pas en fils dis-tu), seulement un prénom qui continuera de donner le change? voilà je me laisse encore emporter comme dans une conversation même si peut-être je parle complétement à coté comme si nos pensées et fantômes avaient du mal à se rencontrer.
Non, Jeanne, tu y es tout à fait et merci de ce long et beau prolongement.
Ah oui, ce que tu écris est sens et bien net.
Et quel rythme, quel dynamisme dans les phrases.
J’ai un coup de cœur pour ceci : ‘On ressemble toutes à nos mères. Il faut juste attendre d’être vieille’. Je le ressens comme un titre potentiel.
Le jeu de couleurs, la vieille sans couleur, c’est beau.
Le visage comme viande. Y a à déployer des choses là-dedans.
Et puis ce final : ‘du visage du mort qui grignote la vôtre pour prendre sa place’.
Merci de nous offrir ce texte, cette qualité.
Cela me fait rêver au fait que les visages seraient comme les troncs des arbres, il auraient une multiplicité de devenir. Les uns dissipent leurs traits d’écorce dans des branches, les autres dans d’autres visages…