Piscine en 3 D

Plan large

Derrière la vitre, des corps blancs et nus sautent dans un jaillissement de gouttes qui retombent brillent disparaissent dans la vapeur chaude et les cris d’enfants. Sur le carrelage d’autres corps encore luisant de gouttelettes, des serviettes étalées, des bouées, des ceintures de liège. En hauteur le siège surplombant d’un moniteur, son regard plongeant, ses coups de sifflet. Du dehors on ne perçoit que les gestes, on devine seulement les bruits. Les éclats du soleil sur la vitre de la piscine brouillent le contour des corps.

Resserrons le cadrage.

Dans une boîte minuscule je suis seule avec mon corps qui se dévoile, se dénude. Je revêts un maillot collant, je serre mes cheveux dans un bonnet de plastique. Par l’ouverture au-dessus de la porte je perçois des bruits d’eau des cris des appels des sifflets, une rumeur de plage enfermée entre quatre murs. Echos lointains. Sortir de la boîte pour affronter quasi nue la vapeur, l’eau, le bruit.

Vue plongeante

La surface bruisse, plisse, crisse de battements, plan bleu où surnagent des têtes couvertes de bonnets brillants, d’où sortent des bras, des pieds, où s’aperçoivent en transparence des ombres de corps, eau striée d’éclaboussures, parcourue de sauts, de plongeons, de glissements feutrés, de nages violentes, monde où l’on ne reconnait plus ni soi-même ni les autres, lieu primitif où l’on s’efforce de renaître.

Du dehors au-dedans, franchir la frontière

Le pied glisse sur le carrelage mouillé, s’accroche à l’échelle métallique, se rétracte au contact de l’eau, hésite – elle est plus froide qu’on aurait cru ! s’agite pour réchauffer tout le corps immergé, corps qui ne semble plus tout à fait nous appartenir, corps qui flotte léger et se détend peu à peu dans la chaleur du mouvement. Le pied strie l’eau de zébrures profondes et la fait résonner. On n’entend plus rien d’autre que le cœur qui bat dans la vibration de l’eau.

Dessous.

Un remous nuageux, un tourbillon de bulles translucides, un visage aux traits déformés par le mouvement de l’eau, yeux mi-clos, cheveux épars flottants. Des bras s’agitent, des pieds battent, se séparent, se rejoignent, des corps ondulent, s’enfoncent au ralenti, filent en fusée vers la surface, jusqu’au mur de mosaïques bleues et blanches, s’accrochent au bord, suspendus un instant. Retour au monde, au bruit, au regard des autres après une errance dans les profondeurs.

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A propos de Jasione

Elle aime les mots, les livres, la ville. Mais c'est au pied de son arbre, un vieux tilleul courbé par l'orage, qu'elle écrit. Elle calligraphie sur la page tout ce qui bruit dans les feuillages. Elle aime aussi faire écrire les autres, écouter leurs voix, partager les mots qui se cherchent.