/
rectangle1 mais de guingois dedans bancal tout incliné vers l’en bas à gauche comme le monde croulerait sous le monde – s’effrite sur lui-même ou quand tu te casses la gueule la perspective plombante des autres dessus les fenêtres en bascule un moment dans la chute le tourné boulé honteux quelqu’un vient : pas de mal monsieur ? vous êtes sûr que ça va attention prenez le temps relevez-vous pas trop vite – je vous aide ? – putain ça y est alors passé la barrière ! devenu l’allure si vieux des pincettes qu’il faut – de la condescendance réconfortante (pas de ce côté quand même – pas déjà – Jamais t’entends Jamais) mais je m’égare c’était pour l’image (si je peux dire en l’occurrence !) dans le 1/3 inférieur – à la louche – une belle balafre noire comme un point d’exclamation à l’envers le gros point au bout bouffe la vue – un reflet brillant dessus – sans cesse l’hameçon d’œil fout la nausée à hurler à vouloir flanquer tout le machin à la poubelle – un poteau de rue oui un poteau de rue à moitié coupé en plein dans le champ et flou comme la chiasse dans les yeux – ça m’a pris comme ça de déclencher rapide hauteur nombril et passant regard en dessous planté dans l’écran orientable – tu comprends – rapport à l’indiscrétion – les questions qu’est-ce qui vous prend d’abord ? le droit à l’image ? et zavez pas honte ? et foutez – la paix nom de Dieu – loin dans l’arrière-plan derrière le bollard – à ras le sol – à moitié, non au quart bouffé par le trait sombre – un tout petit quart – un corps – enfin le corps épais et ses doublures et les doublures des doublures comme un décalcomanie raté – le fichu trouble entoure la pastille blanche du visage (surexposé évidemment ! blanc derrière et noir devant ! à l’envers du petit cheval de l’enterrement) le pull en laine gros motifs la large robe plissée et tout baigne dans le halo baveux des doubles – rapport à la vitesse pas trop bonne et le focus aléatoire – deux jambes emmaillotées dans des trous dépassent – au bout les baskets sales on voit de loin les semelles – c’est assez réduit quand même tout au fond du rectangle en quelque sorte – adossée contre les griffures des pierres du mur blanc – à côté du distributeur de la banque – enfin on comprend dans le vague l’écran minuscule sous l’auvent pare-soleil les lettres du nom dessus mais on ne lit pas – comme le tout petit rectangle de la plaque de rue en haut à droite le côté rogné comme un biscuit Lu – le cadrage hein le cadrage – c’est la ville oui n’importe laquelle j’ai plus la mémoire de la place ou du trottoir un peu large – on voit bien les grosses bordures et tout du blanc derrière – et puis des pieds au bout des jambes et encore d’autres pieds et d’autres jambes et tout qui penche à gauche, alors des fois je dis ils descendent sauf elle ! une là – elle monte à l’opposé avec son fond de sac au bout du bras qu’on ne voit pas – mais la chance ou le malheur qu’il y a – c’est comme dans les dessins des foules où tu cherches Charlie – dans son coin planquée loin derrière le point d’exclamation entre les godasses les sacs et les bouts de doigts on la reconnaît bien : la figurante d’indifférence absolue – ignorante d’elle la ville passe
Rectangle2 vibration longue et continue – touffue – une forêt de lignes – le long le large et le travers – en vertical en horizontal – depuis le premier plan jusque dans toute la profondeur – tout doublé en vibrato flou – enfermées au milieu de l’aquarium de rayures trois flammes – déchirure de feu – accroc – trois petites silhouettes d’hommes flous en gilet orange – deux sont courbés vers le sol – l’un avec une longue tige métallique à poignée en T (selon la position des bras) le troisième mains sur les hanches – face aux deux autres – peut-être en train de leur parler ? ils sont dans un presque centre de l’image mais lointain et rabougri – à bout de course de l’objectif insuffisant et noyés dans leur brouillard de traits jusqu’à l’en bas des traverses alignées sur le ballast grossier – dominantes rouille et brune – à l’arrière-plan de l’aquarium ou de la cage la silhouette estompée d’un TGV trouble au museau allongé – c’est fermé comme le souvenir revenu de l’angélus ou comme le tableau des deux américains lui à la fourche les deux au visage long –je sais pas pourquoi je sais pas pourquoi je sais pas pourquoi
Rectangle3 debout celui-là comme la pierre dans le musée où sont gravées nettes infiniment les lettres du Code – ici saisi au plus près le cône jaune et vert moisi vert et jaune délavés bord vert et carie noire du coin à pisser au fond de l’impasse obscure – le palimpseste saule-pleureur des pisses superposées confondues jusque dans leurs lignes de frontière selon la hauteur selon la puissance selon la stabilité relative selon la tranquillité ou la précipitation selon le degré d’urgence ou le temps de préparation-dissimulation selon le dérangement ou l’accomplissement serein selon le jeu et l’aptitude pour tracer des arabesques viser la tache recouvrir le trou noyer l’ombre incertaine du grain du mur au crépi grossier et crevé par plaques – au pied la bouteille vide la petite flasque du rhum à cuisiner pas cher du tout vendu dans le petit supermarché rien du tout aussi – il y a peu encore sous plastique dans l’emballage au dos cartonné – suspendu avec le kirsh derrière la caisse – pour s’allumer bon marché – au pied également une herbe vive très vive broute le mur et ça étonne toute cette odeur d’ammoniaque détrempé de nuit on croit les entendre des années pisser contre le mur c’était écrit sur la plaque à l’entrée Impasse Lasalle et dessous peint en grosses lettres Défense d’Uriner
Rectangle4 une paroi fine translucide élastique rebondie souple miroitante un peu cabossée un peu étirée un peu creusée un peu allongée derrière elle en transparence ou dedans on ne sait pas dire comme au temps des maths les ronds des ensembles et sous-ensembles inclus avec parfois les intersections – donc derrière ou dedans l’essaim confus d’autres boules légères – aussi du vert du blanc du bleu du gris – une vague vague d’arbre, un groupe de passants indistincts flous collés dans les couleurs pastels)– étirée amincie au milieu boursouflée ensuite – comme il leur arrive à flotter léger dans l’air ou juste au moment de l’arrachement – la seconde d’avant l’envol sur le dos du souffle à travers le cerceau jaune – quand elle se détache s’évade le dessous reflété dans ses pupilles diaphanes de rose et de violet : le type un peu âgé veste et pantalon velours – ses longs cheveux grisonnants rebiquent en corolle sous le chapeau informe – il agite une bulle dans l’air au bout de l’arc de cercle d’un bras – agglutinés autour de lui une flopée de gamins figés dans l’instant – têtes renversés et bras tendus – mains en l’air et cris projetés – en grappes comme les pigeons autour du banc d’où jaillissent les miettes – mais c’est une autre photo noir et blanc celle-là, juste à côté la femme maigre et habituée tourne la tête, c’est pour ça que j’ai osé déclencher
Rectangle5 plein champ barrant toute l’image deux larges lames de bois et ses vieilles veines, le grain serré les taches noires et vertes des mousses et lichens la salissure l’usé – deux bandes à dominante pâle assombrie de micro-tavelures orifices indentations grisées, entre les deux aplats l’interstice : une longue frise d’arrière – plan flou parce que la mise au point toujours ! c’est une vision d’allongé – peut-être d’accroupi – l’objectif tourné vers le mince intervalle entre les deux lattes du dossier – la nausée accompagnerait ce qui successivement apparaît ou se dissout selon que la netteté chope l’avant-scène inerte ou bien aspire le paysage interstitiel – alors on verra – on verra bien – selon la seconde imprécise du déclic, car tout se déroule assez vite : - la truffe humide et brillante d’un gros chien crème débonnaire et amical – à poils longs et sympathique œil noir - la coiffure très nette et brillante aussi de la petite fille de dos – gros pull rouge – la mince trace pâle dessinant la partition utile aux deux couettes tressées sur les côtés – le petit chien noir cette fois qu’elle tient en laisse tourne autour de l’emmêlée – elle a peint le sourire mi-embêté mi amusé de celle à qui il n’obéit pas – - alors penser bizarrement qu’elle est en pays d’enfance – qu’une main précise a semé l’amour qu’elle se portera au sillon méticuleux de sa chevelure
ces creusements, plongées dans les textures, ces précipités et palimpsestes de points lignes plans à dire/voir à bout de souffle, avec la crasse, l’abrupt, l’acide, et le mouvement, et des arrêts (doux) sur image… Merci Jacques
merci à toi du retour !
Bonjour Jacques
Voilà cinq textes-images regorgeant de précision affolée qui nous plongent dans la réalité crue du shoot à l’emporte-pièce.
Merci beaucoup pour ce super moment de lecture.
ah ça m’a bien décoincé d’aller te lire !
L’oeil hameçonne, pas de doute, c’est précis, incisif. Le détail et les relents, tout ce sensible que la photo ne dit pas.