Elle dort, à demi-allongée, jambes repliées (ces fœtus étranges, semi-lunaires, des clichés d’échographies) – sous le noir du pantalon et le luisant de la peau des flocons cotonneux et réguliers capitonnent le bleu clair des chaussettes aux bonhommes de neige. c’est au Luxembourg – pas le pays, mais dans la ville – le jardin – ou ce qu’il en reste – entre l’imagination et l’écart inévitable : la fin du Sanctuaire de Faulkner et la statue vivante sous les arbres, la marche aujourd’hui dans les allées de poussière, après la fontaine aux chevaux verts et les poitrails d’eau, l’avancée pressée entre les rangées de troncs étiques, l’étonnement du sec du poudreux du blanchâtre, entendre que longtemps que c’est comme ça, pas de pelouse à arpenter, et ce n’était pas le plein été, loin de là – un bout de printemps déjà tendu vers l’envie de chaleur : ça se voit dans l’arrière-plan des silhouettes fourmis aux lunettes foncées, aux vestes et doudounes rebondies parfois ouvertes, ça se voit aux écharpes lâches comme par simple souci d’élégance facile et discrète, ça se voit aux premiers bras nus, aux positions nonchalantes, le dos calé contre le dossier, les pieds sur l’assise de la chaise verte placée en face, ça se voit à l’abandon des corps aux joues du soleil ça se voit à la bande de vert à celle jaune des fleurs, à la bigarrure mouvante des promeneurs venus prendre le temps l’air la douceur – ça grouille en contrebas autour du bassin du grand palais : il y a les bottes mauves de l’enfant manteau noir devant la poussette il y a la jupe claire à carreaux il y a les capuches bordées de fourrure rabattues sur les dos il y a le t-shirt jaune, il y a les jeans longs et celui juste sous les genoux, avancent d’un pas soutenu, il y a les marcheurs et les assis, sur le muret bas du bassin ou sur les chaises, celles qui lisent et fument ceux qui discutent celles penchées sur le rectangle du téléphone – de loin un bruissement indistinct – soudain des voix proches puis fondent et s’effacent en s’éloignant. là un aimant : la masse brune, l’angle de la balustrade rempli d’elle et ses quatre chaises métalliques, tours et murs, une forteresse et son enceinte – à ses côté les donjons des deux grands sacs, à droite brillant et inquiétant comme une peau de mue, à gauche le monde en anglais et les voyages – au sol sous la chaise comme on range ses chaussures sur le palier, des mocassins bas et dérisoires ; calée comme elle peut, engoncée de travers, tête renversée, le coude gauche à angle droit sur l’accoudoir, l’oiseau-main frôle d’un doigt ou deux le front sous lequel elle endort la fatigue et l’abandon. son visage noir et plein est cerné de blanc, de la déferlante figée du foulard jusqu’à la frange du bonnet. là qu’un peu honteux j’ai pourtant volé l’image de l’inconnue du sommeil.
Il y a en fond les bruits du parc. les gens autour grouillent partout dans le jour. ça laisse sur le bord mais c’est pire le vide du soir. mais c’est pire le noir. mais c’est pire le sursauter. ici j’ai le temps de reposer. la nuit j’apprends. c’est dormir moins. le froid revient. surveiller des bruits des pas et des voix. surveiller d’un œil dormir avec l’autre. j’ai bientôt l’habitude. ici j’arrive je prends les chaises autour de moi. je courbe le dos. je ne regarde pas. j’installe sans faire remarquer. sans rien dire. oubliez-moi. je dors un peu. la barre dans le dos ça aide à garder d’un œil. à l’abri dans ce coin de chaud. je ne regarde plus jamais ceux qui passent. ceux des yeux aveugles. ceux des jambes sur les trottoirs. une pièce ou un ticket SVP. je suis comme l’âne à porter mes deux sacs à pleines mains. sous le distributeur du matin j’ai bientôt mon habituée. la petite fille pour l’école, le cartable dans le dos. elle tourne la tête vite et sourit. je souris vite aussi. la main tire. la main dit arrête de trainer on est déjà en retard. encore je me tiens propre. ici un peu je dors. se tenir propre c’est ce qu’il faut.
j’ai vaguement eu le sentiment que des maux de tête l’assaillaient – un peu sous ce soleil-là – mais je n’avais pas encore vu l’image – la discrétion de l’élégance, c’est très joli (merci)
bien difficile de savoir quels maux dans sa tête et les mots qui seraient les siens – en tout cas c’est souvent qu’elle revient dans la mienne de tête avec l’étrange malaise d’un instant volé.
Quelle délicatesse dans ces deux textes, à l’image de la couverture bleu-violet sur la chaise où les pieds reposent. Grande émotion ! Merci !
et pour moi grand merci de cette émotion partagée.
oui ce qu’il faut, pas si facile
quel plaisir ce texte
merci Brigitte et j’ai le sentiment qu’il n’est pas terminé ce texte… et c’est tellement vrai, rien pour certaines/certains n’est si facile de ce qu’il faut.
J’aime ce malaxage de matière, jusqu’à l’épuisement. On en a plein les mains, plein les yeux. Plein la tête surtout. Dense et beau.
merci beaucoup ! j’ai pris du retard dans mes lectures et écritures mais je vais m’y remettre !
Texte tout en attention, délicatesse et humanité. Merci.
merci à vous de votre attention
c’est très beau Merci Jacques
merci ! à bientôt de se lire encore !