On s’était dit ce sera la maison du bonheur et ça ne nous a peut-être pas porté chance. Le jour de l’emménagement il a déclaré je veux qu’on m’enterre ici en montrant le pied du frêle bouleau qui peinait à se frayer un chemin vers le ciel à l’arrière de la maison. C’était bien son style ce genre de déclaration solennelle, à notre mariage il avait fait tout un speech sur la mort, la famille avait mal supporté… On aimait bien son côté Art déco, les moulures en haut des murs et sa toiture à quatre pans, on a dépensé nos dernières économies pour installer une salle de bain, poser de la laine de verre, construire la véranda et refaire les peintures, c’est moi qui ai repeint les volets en vert, mes mains ressentent encore avec quelle allégresse. On dirait une boite à chaussures égarée dans la campagne s’était moqué mon frère, nous ce qu’on adorait par-dessus tout c’était la vue sur la vallée. De l’autre côté, c’était la route, tranquille, mais une route. La vallée, elle, s’étalait à l’infini sous des étendues de ciel et le soir dans la véranda et dans les bras de l’un de l’autre, on la contemplait jusqu’au coucher du soleil. C’était une maison isolée aux confins du bourg et tout ce qu’on avait désiré, c’était cette tranquillité pour y tisser la grande toile de notre bonheur à venir. Il n’est pas venu, en revanche les terrains agricoles mitoyens ont été préemptés en vue de l’installation d’une zone commerciale, et on a eu droit aux travaux, puis aux camions de livraison, aux allées et venues incessantes dans le parking, le défilé des caddies remplis ras la gueule de steaks hachés et pizzas congelés à bas prix. On a voulu revendre, mais la valeur de la maison avait tellement baissé, on ne pouvait pas récupérer notre mise, on est resté, on s’est étiolé, on n’a pas pris la peine de faire le jardin et il ne parlait plus d’être enterré là, enterrés nous l’étions déjà. C’est la faute à pas de chance disait mes parents, si on veut. Quand je passe devant aujourd’hui, le plus rarement possible, et plutôt crever de faim que d’aller faire des courses au Lidl, ça me tort les tripes ce gâchis et tout ce qui s’en est suivi comme si le malheur ne supportait pas d’être seul et en rameutait d’autres autour de lui.
Maison/ Val de Meuse
Beau jeu du détail, belle envolée imaginaire. Et si la maison prenait sa revanche ? Merci.
Oh que ça commence gai et que ça finit tristoune ! J’essaie de l’imaginer en sens inverse cette histoire; peut être ils auraient mis une pompe à essence derrière le joli feu rouge mobile,ils auraient fait plein d’argent et ils auraient racheté le lidl. Bon, à voir et merci Catherine pour ce texte émouvant.
ou alors une version walking dead… des hordes de consommateurs déguenillés avec un sac lidl, qui viennent pantelants, toquent à la porte de la maison parce qu’il y a rupture de stock dans les sacs de farine… les habitants sont persuadés que ce sont des zombies… et en fait ce sont eu les zombies… comme dans je suis une légende… oups j’ai dit la fin… Hem en tout cas une amorce amenant bien des idées…
texte plein de mélancolie
la maison , à l’image de bien des rêves
écriture pleine de délicatesse
Ils se serraient dans leur boite à chaussures … On est pris Catherine. Le vert des volets en pleine figure, et les jaunes ( Lidl, et feu ) de l’image ressortent d’un coup. Les steak et les pizzas mangent la vie et creusent la tombe. C’est une histoire triste qui se tient toute droite comme la maison au paysage dévasté.
Bravo d’avoir trouvé l’image!! Et le texte est envoûtant, on suit leur déconfiture. J’aime beaucoup l’idée de la boîte à chaussure.
Je me demande si le bouleau est encore là, caché par la maison.
Rapide chronique d’une déception annoncée… Il y a un rythme, une ironie qui me plaisent beaucoup.
Comme c’est beau ! C’est magique en fait. Je regarde cette photo de maison qui m’attire, mon obsession des maisons toujours, et l’histoire est presqu’écrite. J’adore vraiment.