Avec elle, ça commence souvent par un NON. Parfois par plusieurs. Parfois même le OUI ne vient jamais. Et là, sur cette photo en noir et blanc, le NON se voit nettement. On ne voit même que lui, ou presque sur le visage, dans ce décor champêtre. Une pelouse, quelques arbres troncs, branches et feuilles, un tas de bois, une haie de thuyas au fond. Même en Ile de France, là où cette photo a été prise, la végétation ne peut pas vraiment dire NON, ou, au contraire, s’épanouir et déborder de joie. Ce décor ordonné prend une certaine surface sur l’image, sans ombre ni zone de soleil.
Là c’est l’été dans une photo horizontale, plutôt mal cadrée d’ailleurs. Enfin sans autre intention que de montrer ce qu’elle représente, une petite fille, déguisée, qui fait la tête. C’est un portrait, plan moyen, d’une enfant de 6, 7 ans, qui dit NON. Enfin elle ne dit rien, mais c’est évident qu’elle dit NON cette gamine déterminée (à quoi ?), cette maigrelette torse nu, avec une plume tenue dans un bandeau clair enroulé autour du front. Elle est assise en tailleur, devant un tipi d’enfant des années 60. Combien de temps est-elle restée devant sa tente cet été là?
NON elle a du dire NON à la photo. Butée. NON à ce qu’on entre dans son « chez elle », la tente d’indien, dont les pans de tissus, faisant office de porte, sont pourtant relevés. À l’intérieur, on entrevoit un gros poste radio. Elle garde l’entrée, ses secrets. Que garde t-elle aussi fermement ? Son mètre carré de territoire privé ? Sa vie imaginaire?
Elle a du dire NON. NON pas plus près, NON. Elle tire la gueule souvent, toujours. Seule, décidée, droite. Buste et front aussi raides que les sardines de sa tente, dans le sol dur. Elle ne joue pas. Ce doit être son père qui l’a photographiée. Sans doute même. Qui cela pourrait être d’autre ? NON, ça ne ressemble en rien à une photographie de famille heureuse et joueuse, une image de vacances souriantes et insouciantes. Pourtant elle joue, dans le terrain autour de la maison de famille. Raison de plus pour afficher un NON. Elle parait très décidée. À s’ennuyer ferme, peut-être.
L’a t-on aidée à monter sa tente orange? Où a t-elle trouvé cette grande plume ? Comment l’a t-elle fixée dans le bandeau autour dans ses cheveux fins d’enfant? Que pouvait-elle bien faire, durant toutes ces heures, déguisée en indienne ? L’indienne qu’elle se disait, qu’elle s’imaginait être, lui permettait-elle d’être encore plus dans l’opposition, dans une sage opposition ? Qu’avait-elle disposé, au fond de sa tente, de son intimité qu’on ne voit pas sur la photo, à part la radio? Un album ou un livre où il était question de sioux, d’apaches et de cow-boy ? Il est vrai que les figures féminines de cow-boy s’avèrent moins prégnantes dans les films et les histoires que celles des femmes indiennes. Alors entre ses NON, sa tente et sa tenue d’indienne, ça devait coller, enfin lui plaire assez pour qu’elle s’y enferme plusieurs après-midi, que ça l’occupe un certain temps. Une forme de résistance aux dominateurs, aux adultes, au monde des grands décideurs. Le tout au masculin. NON, elle avait trouvé la formule magique pour ne pas donner suite. Et là, elle barre l’entrée de la tente. Combien de jours est-elle restée ainsi à défendre sa vie de jeune indienne, (amérindienne, dirait-on aujourd’hui) en Seine et Marne ? Dans une position d’étrangère non soumise aux attentes habituelles de cet endroit, elle pouvait se sentir plus forte. Peut-être. Enfin NON, je ne sais rien de ce qu’elle vivait alors. NON, je ne vois que ses refus et sa plume et pigeon dans les cheveux.
Le NON se voit comme le nez au milieu du visage. Laisse place à un portrait émouvant.
(le NON peut aussi être un jeu, non ?)
OUI