Ma mère et son frère. Je suis dans les bras de ma mère, mon frère est dans ceux de son frère, ou le contraire. C’est juste un souvenir. Elle est enceinte de notre frère, le troisième enfant de la famille. Qui a pris la photo ? Je l’ai su et ce n’est pas mon père. Ma mère avait un ami, un collègue, un premier patron de sa courte vie d’assistante sociale avant son mariage, un ancien amant peut-être qui a documenté la famille à ses débuts. J’ai su son nom, il va me revenir en écrivant, ça y est : Leguen, je crois. Il n’était pas photographe, mais savait manier très correctement un appareil photo. Mon frère et moi dans les bras de ‘l’arrière-grand-père paternel, c’est lui aussi. Mon frère et moi sur un canapé dont je n’ai aucun souvenir dans une pièce tapissée d’un motif à grandes arabesques que j’ai l’impression de n’avoir jamais vu que sur cette photo. Le canapé en velours marron avec des boutons qui tenait le matelassage. En fait je m’en souviens de ce canapé, je me rappelle même l’usure du velours sur les bras du fauteuil, et pourtant il n’est pas sur la photo. Moi toute seule dans les bras du grand-père maternel, c’est lui aussi. Sans doute à peu près à la même époque. Je porte les mêmes couettes. Le grand-père est debout, il a un béret sur la tête et un bon sourire de grand-père, lui qui ne souriait pas souvent dans mon souvenir. Qui était-il celui qui a pris ces photos ? Et quand était-ce ? Je n’ai pas plus de deux ans, le troisième n’est pas encore né ! Pourquoi est-ce lui le photographe ? Pourquoi mes parents n’ont-ils jamais porté aucun intérêt à la photo ? Pourquoi n’ont-ils même jamais eu un appareil photo ?
Plus tard quelques photos de photographe d’excellente qualité (où nous sommes trois sous un sapin de Noël). Sans doute prises par le photographe de la petite ville de mon enfance. Touvron, il s’appelait Touvron, il devait faire les photos des écoles et c’est sans doute chez lui que les parents ont acheté le premier Instamatic avec lequel nous avons fait nos premières photos. Nous les enfants nous avons fait des photos, développé des photos dans un labo photo, bien mauvaises, puis meilleures, un de mes frères surtout s’est passionné pour les diapositives de fleurs.
L’unique photo de famille où nous sommes les quatre enfants avec nos parents (le petit dernier vient de naître, il est dans son landau haut sur roues avec sa grosse tête chauve), je ne sais qui l’a prise. Dodo, l’amie de notre adolescence qui vivait plus souvent chez nous que chez elle. Peut-être. Qui d’autre d’aussi familier pour être inattentif à l’arrière-plan d’une porte de garage coulissante à gros carreaux de verre opacifié. La composition est naturelle, le cadrage correct. J’ai treize ans, un fichu noué derrière la tête (je me souviens de cette robe verte en lin le fichu allait avec, c’était une Cacharel, pas encore une mini), mes frères sont en culottes courtes. Je me penche comme ma mère pour sourire au petit frère qui vient bouleverser notre vie. Un de mes frères se tient droit face à l’objectif comme mon père, l’autre est en retrait de profil. C’est la photo de ma famille, l’unique où nous sommes rassemblés. Elle est en noir et blanc.
Qui a pris la photo ? Leguen, puis Touvron… Dodo peut-être. Leurs noms comme un appel à la fiction et la robe Cacharel verte sur une photo noir et blanc
c’est exactement ça : un retour progressif des souvenirs, rien qu’en décrivant la photo qu’on a dans la tête. merci de ta lecture.
Cela donne squelette au texte cette énumération de ceux qui ont pris la photo. Merci, Danièle, pour aussi les textures et les couleurs si bien partagées depuis ton texte souvenir.
Oui les couleurs dont on se souvient et le velours du canapé qui n’est pas sur la photo. Belle expérience que cette proposition qui fait ressurgir plein de choses.