Il se promet beaucoup de la caméra infra-rouge à détecteur de mouvement qu’il vient d’acheter pour presque rien. Gourmande en piles certes, mais tellement facile d’utilisation. Voir la nuit, voir sans être vu, voir sans être là. Il la place judicieusement au fond du jardin pour voir ce qui se passe dans la haie espérant saisir le hérisson prudent, la fouine ou même le renard qui rendrait visite à ses poules. Au matin, il court relever les images. Déception, rien que des feuilles agitées par la brise qui ont déclenché le détecteur de mouvement ! Il insiste, replace l’objet, coupe les branches gênantes, remarque que le chat fait des rondes de nuit. C’est encourageant, mais lassant à la longue ses portraits de chat aux gros yeux brillants quand il s’approche de l’objectif. Il repère quelques rats aussi qui viennent se repaître du blé destiné aux poules. Met du raticide et continue à espérer autre chose. Il sait que la persévérance est importante pour saisir l’imprévu. Il espère sans bien savoir ce qu’il attend. Il filme désormais de jour aussi, le matériel le permet. Un cambrioleur, un incendiaire, un meurtrier comme dans blow up. Sa compagne s’amuse de son nouveau passe-temps. Elle ne regarde même plus ce qu’il produit, tant ces images de vie nocturne sont répétitives et ennuyeuses. Le jour, c’est pire encore : des heures pour rien. Il n’y tient plus, rien ne se passe dans cette haie, il faut élargir le champ. C’est interdit, il le sait, de braquer son objectif sur la rue ou les propriétés voisines. Qu’à cela ne tienne, il le fera et les images resteront secrètes, il ne publiera rien. Juste un petit plaisir coupable. Il hésite entre la rue et le voisin sur la piscine duquel il a une vue très dégagée. La rue c’est impersonnel, le voisin très tentant. Il se sent une âme de caméra de surveillance, une âme investigatrice, d’enquêteur ou de romancier. Cela le réconforte de s’imaginer en agent secret et non en vulgaire voyeur. Il ne fait pas de mal, il surveille et enregistre. Oui, cela l’intéresse ce que font les autres la nuit. N’importe qui le ferait s’il le pouvait. La silhouette du voisin qui se baigne nu de nuit l’amuse au départ, puis le lasse vite. Il faut qu’il aille plus loin dans son intimité au cœur de sa maison. Il doit changer de matériel, trouver quelque chose de plus discret, de plus facile à fixer et à relever à distance. Une surveillance intégrale qu’il regarderait en continu. Il rêve, ne fait plus que ça : imaginer des matériels et des plans pour mener à bien son projet. Sa compagne s’inquiète de l’intérêt qu’il porte à ces installations. Il ne fait plus que ça. Elle menace de le dénoncer et de le quitter. Il est trop loin déjà dans son obsession. Elle le quitte, il la met sous surveillance. Maintenant, il est techniquement au point.
tu nous fais bien à ressentir la curiosité qui devient désir, frénésie et qui se transforme en addiction jusqu’à la destruction « Elle le quitte, il la met sous surveillance », par cette simple phrase haletante, tu nous entraînes au plus près de sa folie, ça y est sommes pieds et poings liés.
Osez la photo de rue est tout aussi palpitant, merci, encore encore…
Merci Cécile. J’ai une caméra infra-rouge, mais je ne filme que les rats qui mange le blé de mes poules.
(ça va mal finir, si tu veux mon avis)
Non, non. Elle s en aperçoit et le dénonce pour harcèlement.
(je me plante tout le temps)
Mince, comme Piero , la fin tranchante m’a laissé le loisir d’imaginer le pire ! En tout cas, merci pour ce texte dont le rythme rapide retranscrit à merveille l’agitation du personnage !
merci