C’est la terrasse d’un rade sur le port à Toulon: les chaines d’amarrages dans les nappes d’huile, les algues vertes, la mousse… des pointus et des yachts… de l’autre côté du port le ferry fume, un jaune à tête noire; quelques goélands. Des corps et des bagages loin. Au bar des rugbymans (derrière il y a le grand stade), c’est calme, dès sept heures on peut manger des moules et des frites, c’est marqué sur l’ardoise, des réchauffées; ou des huîtres. Je commande un café. J’ai l’appareil avec le zoom, le même qu’aujourd’hui— à présent je vois des poussières dans le viseur, un cliquetis suspect accompagne les mouvements. Ce doit être le 9, ou le 10 de novembre l’année des attentats. C’est la troisième fois que je viens à Toulon: Puccini, Verdi et maintenant Mozart: Cosi. « Soave il vento » l’air du trio. Ces répétitions au piano et la musique te passe sous la peau. L’air face à la mer; le déchirement des amantes dans ton oreille précède la mascarade: du pur Mozart (et ouvrir le ciel avec une épingle perdue). Ce matin je dois marcher pour manger de la lumière avant de m’enfermer dans la cage de scène. Photographier peut-être: attraper au vol? « Si tu photographies la rue mets toi sur mise au point en mode automatique », m’avait dit C. une photographe très douée. C. de la terminale du Chambon qui séchait les cours pour se glisser partout avec son appareil; je posais pour elle. C. qui en sait long sur la photographie: l’argentique et les tirages aux sels d’argent. Ses noirs comme gravés: champs de blé, route… Ce pain rude sur une table — je lui ai acheté l’image. « Et privilégie la vitesse », m’avait dit C. avant de disparaitre sur une plage de Bretagne. Des années que je ne la vois plus… Ce sont des voix, des rires en cascade, leurs trilles. Ce sont elles qui font naitre l’image sur ce quai. Saisir l’appareil. Se retourner. Les attraper au vol, tombées de la nuit dans leurs déguisements. Les trois.
il y a quoi sur l'image? C'est dans un dossier quelque part. ça doit s'appeler Toulon 2005. Trois filles en costume sur un quai. Le vent s'est levé. C'est une image un peu floue. La combinaison de tigre avec la queue retroussée, c'est celle qui se propulse tête baissée, celle du milieu avec le serre tête à oreilles de fauve qui la porte. Un bouillon de tulles rose et une ombrelle ou c'est un parapluie d'enfant à pois que le vent tire en arrière,(quelque chose de japonais style cosplay). Et la troisième effacée,cachée par les deux autres. Sa tâche jaune.
Magnifique à lire à voix haute… le tenter me tente – les passages d’un état à l’autre, du fulgurant au ralenti et retour, du dehors au dedans (tiens, tiens) superbe
Le lire? si le tenter te tente? ( vraiment touchée Catherine)
bon Catherine a dit tout et plus que ne le savais
« et ouvrir le ciel avec une épingle perdue »
Merci Nathalie Holt. Vous ouvrez les voies du dehors au dedans. Catherine a raison. Superbement. Et vos voix, nous les entendons. Et de nos yeux. Merci Nathalie.
Catherine, Brigitte, Ugo merci pour les retours
cette fille de la terminale du Chambon, moi ça me fait rêver.