Une photo nette, bien cadrée, pas de ligne de fuite, impossible de deviner le hors-champ. Noir et blanc, ou presque, un rien de couleur sur la gauche. Oui, un gros plan – très gros — sur un tronc d’arbre, un hêtre sans doute. L’écorce se donne à voir, vivante toujours, morte par endroit, tourmentée, torturée par le gel, fissurée, blessée, avec sa boursouflure ovale comme un œil — une branche cassée à jamais disparue – , avec des bourrelets autour de ses blessures, et ce croc qui s’élance hors le tronc, vers le sentier. Écorce-protection, gardienne de la vie de l’arbre.
Photo prise au petit matin, durant ma promenade rituelle le long du canal, avant la montée de la chaleur de l’été. Je suis à fond dans ma recherche, à l’affût de traces, empreintes d’animaux, coulées de boues après l’orage, surprises assurées dans les arbres et buissons, parfois un oiseau tombé du nid ou une chenille étonnante, une fleur dont j’ai oublié le nom. Une obsession liée à l’acte photographique. Prendre la photo, prendre le vivant, le posséder, l’enfermer, clic, clac, dans l’appareil portable, puis dans un dossier d’images, un album. C’est ce croc tendu vers moi qui m’attire. Je retire mes sandales, je patauge dans l’eau vive, je glisse, je cherche le bon angle, j’attends le rayon de soleil complice qui mettra en valeur les nodosités du bois. Je la veux cette chose curieuse. Elle est dans ma ligne de mire, je stabilise l’appareil, je clique. Beurk, l’eau qui arrive du torrent proche est glacée, mes pieds s’engourdissent, mais Elle m’appartient, avec elle je prends le chemin du retour.
Et là, c’est le grand plaisir, le décryptage, la découverte confirmée d’un oiseau moqueur. Que me crie-t-il, le pic vert – c’est un pic vert –, sur mon écran d’ordi ? Kiak, kiak, kiak… Je ne suis pas bonne sur le logiciel Photoshop. Peu importe, je le tire en photo, je prends mes pastels, je l’aide à s’évader en couleur de l’écorce sévère qui l’enchaîne. Voici son bec puissant rouge écarlate, ses yeux bleus rieurs et pourquoi pas une tignasse ébouriffée sous un turban coquin. Et surprise, soudain, mais oui, dans le trou creusé dans le tronc, près de lui, je devine deux yeux qui me fixent, qui scintillent. Allez, l’autre mystérieux, qui que tu sois, surgis du néant, vis. J’accentue la vivacité de son regard. Il vit. J’en suis ravie. Je présente à ma petite fille nos deux nouveaux amis.
Mais bien su^r, enfin réalisée les chimères qu’on voit dans les écorces comme dans les nuages, très joli pic vert !
Bonsoir Christiane
Belle description de la photo suivie d’une séance de retouche réussie.
Merci !
Très belle photo qui nous raconte ce que l’on a envie d’y voir et la transformation est étonnante. Merci
Merci pour ce moment de lecture.