@ Madravel
Après-midi de printemps finissant dans un soleil déjà glissant vers l’horizon..J’ai déambulé, la sangle de l’appareil photo enroulée autour de la main, dans les sinuosités des sentes et venelles de cette bourgade languissante du bord de mer. Pourquoi suis-je venu ici aujourd’hui? Par désir soudain de quitter la ville pour me rendre sur le littoral normand, que j’affectionne particulièrement à la morte saison. Nikon pré-réglé dans une main, téléphone portable en mode vibreur dans une poche, je furète ici et là, saisissant sur le vif les personnes entrevues et les ambiances ressenties dans les recoins de rues. Tout ce qui est banal, insignifiant est digne d’être photographié à mes yeux. Il y a en moi un peu de Bernard Plossu, un photographe-écrivain de voyage, dont j’apprécie la pratique du décadrage et du flou. Urbain par passion et photographe de rue par nécessité, la main sûre et l’oeil exercé, je n’ai pas forcément besoin de regarder dans l’oeilleton de mon appareil pour fixer une scène…La photo de rue est l’école de la discrétion et du culot…Je n’ai rien d’un paparazzi…je n’aime ni l’indiscrétion, ni les planques et les traques. Le téléobjectif m’encombre et je ne compte que sur le hasard et l’insolite…jamais de calcul…je ne marche qu’à l’instinct. Je ne cherche que l’instant décisif qui déclenche un désir de cliché unique…pas de série photo non plus pour rattraper une image ratée. Je ne connais jamais d’avance le résultat de la photo. Je ne peux que l’imaginer, la subodorer mais cela reste toujours une surprise…bonne ou mauvaise, mon attente n’est jamais déçue. Mon humeur détermine le thème du jour qui fasse écho à mon état d’esprit. Je peux aussi bien photographier une foule anonyme qu’un quartier de ville désert. Cette journée n’avait pas été particulièrement inspirante. Perdu dans mes pensées, j’attendais machinalement de traverser le boulevard qui s’animait en cette fin d’après-midi, à une heure où les employés, les bureaux et les ateliers se séparent pour la nuit. Regardant à gauche puis à droite, j’apprécie mon ombre encastrée dans la chaussée, qui s’étire dans la perspective du boulevard jusqu’à la calandre d’une voiture qui ralentit pour me laisser passer. Le point de fuite de mon ombre dans cette rue en enfilade, la forme des lignes de marquage de la rue et la répartition des masses et des couleurs rendent un cliché potentiellement intéressant. Je traverse, mon appareil photo pendant le long de mon corps à hauteur de hanche, objectif grand ouvert sur la voiture. Le clac furtif du miroir que l’on escamote, renvoie l’image de la scène vers le capteur, dans un ultime clin d’oeil à l’automobiliste, dont on aperçoit à peine le visage derrière son pare-soleil rabattu. Qu’espérais-je de cette photo? L’aspect technique du cadrage et de l’exposition ne me préoccupait pas outre mesure car les divers réglages de mon appareil n’ont plus de secrets pour moi. Ce que je souhaitais, c’était d’obtenir une exagération des lignes et des volumes et que mon ombre portée s’encastre dans le pare-choc et déforme l’avant de la voiture. Eh bien non c’était raté…mon corps n’était pas au milieu du capot et mon ombre touchait à peine la roue de la voiture. Toutefois, l’écartement des jambes, le positionnement du corps m’a rappelé étrangement une sculpture de Giacometti. S’il n’y avait pas eu les vêtements, j’aurais pu être la copie de cette oeuvre. L’ombre de la voiture m’affuble d’un drôle de couvre-chef, tout en volumes, répartis vers l’avant, subtilement posé sur quelques cheveux de ma tête, dans un équilibre précaire, que ne semble pas perturber la démarche rapide, que j’ai engagée pour traverser la rue. D’autres regardeurs y verront autre chose. Moi, c’est la vision qui m’est venue immédiatement à l’esprit, sans doute alimentée par des réminiscences concernant la solide amitié unissant le photographe de rue Cartier Bresson au sculpteur Giacometti. Ce jour là, je devais être d’humeur surréaliste et je ne le savais pas jusqu’à ce que je prenne cette photographie.
Oui, je vois ce que tu veux dire avec Giacometti, la marche, la silhouette… habillée la tienne ! J’aime l’ombre et l’histoire que tu racontes. Un bout de chemin avec toi, merci Laurent.
merci Clarence…A bientôt
L’art de la surprise dans la sûreté de soi.
Merci Laurent pour ton texte et ta photo réussis.
merci pour le compliment…A bientôt
J’aime la nonchalance que votre texte donne à sentir, en vue de laisser la place à ce qui ne compte pas dans la perspective d’un régime utilitaire (la rencontre du véhicule flambant et de l’ombre).. Le rapprochement avec Giacometti, et les photographes fonctionne bien. Merci !
je vous remercie