Peint en rose pour épater le paysage, au bord de la route, mais avec de l’espace autour pour garer quelques voitures et caler un sandwich au fond d’un estomac vide. On avait pensé à tout, sauf à l’impensable. Jacques allait chercher les journaux au bar-tabac du village, il en profitait pour assister à la messe de sept heures, revenait tout ragaillardi par les cantiques, pendant que je préparais les sandwichs du jour, pâté campagnard aux cornichons, crevettes relevées à l’huile d’olive épicée, salami mayonnaise, mais pas n’importe laquelle, une petite touche de moutarde et ciboulette, un truc super chouette qui animait les clients. Les baguettes artisanales, on les décongelait dans le micro-ondes, croustillantes à souhait quand quelqu’un se pointait. On avait d’abord pensé à une friterie, mais, selon Jacques, qui était belge, les vraies frites c’était à Touvent, son patelin, inutile de tenter ailleurs. Pour les viennoiseries, on faisait ce qu’on pouvait, j’avais déjà travaillé dans une pâtisserie, alors, entre l’espace réduit du comptoir, le frigo et le micro-ondes, je me débrouillais pour décongeler la pâte à croissants, j’y étalais le chocolat avec un zeste de poivre, ma spécialité. Pour les chouquettes, pas facile non plus, mais j’y tenais. Quand une voiture faisait mine de s’arrêter, Jacques s’empressait de prendre son torchon, nettoyait le comptoir, y déposait le pot de fleurs, mettait une nappe sur la table en bois à l’extérieur. Un brin de causette, c’était toujours agréable, si bien que, quand les clients repartaient, certains d’entre eux déjà un peu pompettes, on savait à peu près tout sur leur vie, d’où ils venaient, qu’est-ce qu’ils faisaient dans la région. On décortiquait pendant des heures les informations reçues, en essayant de déceler les mensonges parmi les bribes de vérité ou le contraire, et tout allait bien. Cela m’a fait tout drôle d’abandonner le distributeur après trois ans d’une vie que je croyais pour toujours, mais parfois le rose vire au noir, alors, qu’est-ce je pouvais faire d’autre ?
Etiquettes : Distributeur – 15-30/09/22 – Alimentation – Rose – Besse bourguignonne
Que du plaisir, le texte et les recettes, trop bon.
Merci, Laurent ! Je me suis bien amusée avec les deux, texte et recettes.
J’ai le sourire aux lèvres avec ta micro-fiction, Héléna, le lieu coloré, la tenancière débrouillarde et amoureuse, le tout petit commerce, c’est une miniature ciselée dans une coquille de noix.
En fait, au début, je voyais plutôt un tenancier aux fourneaux, mais il a changé de sexe en cours de route, c’est vrai ! « une miniature ciselée dans une coquille de noix », c’est trop beau ! Merci, Catherine !
Une vraie harmonie entre le texte et la photo, tout plein de charme (avant que ça ne vire au noir).
Merci infiniment, Perle !
oh oui du charme qui embarque, tout démarre très vite…
on sent l’application avec laquelle, torchon sur l’épaule, elle confectionnait ses sandwiches du jour, recettes perfectionnées au cours du temps et aussi avec de l’amour
belle baraque sans frites, mais qui devait faire un tabac !!
Je me suis demandé pourquoi le distributeur était à l’abandon, j’ai pensé à plusieurs possibilités, mais ne me suis décidée pour aucune. Cela reste flou. Mais j’ai aimé écrire ce texte. Merci infiniment pour ton passage, Françoise !
(le salami mayonnaise (toujours avec de la moutarde, toujours !), j’ai croisé ça quelque part – du côté de la Carola) (la spécialité nutella/poivre : hum (fallait oser…)…) (après, ça aurait été aussi bien de faire des frites hein) (sans doute même mieux…) (mais merci Helena- magnifique)
Oui, Piero, j’avais d’abord choisi une friterie dans la même région, mais je dois avouer que les frites de Touvent sont absolument fabuleuses (les meilleures !), alors j’ai dévié sur le distributeur. Je n’avais pas pensé à du Nutella, dis donc, c’est du vrai chocolat fondant ! Merci. Contente que tu aies aimé !
Oh c’est un rêve ce petit bout de rose qui se termine au noir. Cantiques et salami sur le pouce . Helena tu ravis .
« Cantiques et salami sur le pouce », j’adore ! Et c’est exactement cela ! Merci Nathalie !
quel régal ! merci
Merci Caroline !
Quel joli texte, on se dit que ça va marcher, on y croit (le décor, les recettes détaillées) et puis non et la raison demeure dans l’ombre. Le rose comme une couleur qui ne tient pas dans la durée. Merci, Helena.
« Le rose comme une couleur qui ne tient pas dans la durée. » C’est merveilleusement dit, Anne ! Merci infiniment pour ton retour !
quel beau voyage en territoire de l’amitié
j’adore
le geste affairé qui prépare les prémisses du dialogue, toute la mise en scène qui entoure la parole, flue et reflue
la vie simple et les saveurs formidables….
merci vivement chère Héléna, et j’attends impatiemment de lire ton « carnet individuel » :))
Merci, Françoise ! Pour le carnet individuel je vais juste me mélanger à toutes ces belles voix qui chantent si bien !