La clef marque la paume de ma main, je la serre fort, elle est à moi, les articulations de mes doigts blanchissent, j’ai des fourmis, je me répète elle est à moi elle est à moi elle est à moi. Mes yeux balayent les fenêtres avec derrière des pièces dépouillées, les hauts murs penchés veillant sur la cour simple, et au fond l’atelier bâti dans la courbe de la colline, maisonnette comme de pain d’épice avec un feston pour fermer le toit. L’hiver n’est pas pas sa meilleure saison, la bâtisse prend un air sévère, celui qui vous détourne de vous y arrêter, qui vous retient de croire que l’on pourra y être bien, je dis que l’hiver la déshabille car on voit à quel point elle est sévère. Heureusement le toit a été tout refait, le froid peut l’assaillir, et la neige et la bise, elle reste sèche et bien close. Le gris des ardoises est doux contre le ciel, les gris, les nuances des gris de l’hiver. Elle y prend son air sévère mais affirme bien sa place de gardienne, à l’entrée du village. Balise au bord de la route, elle se pose en grande sœur du reste des maisons, elle est de celles dont on dit : vous pouvez pas vous tromper. L’affleurement rougeâtre dans le crépi du pignon, une façon de traces où de belles lettres disait Auberge ou Hôtel, mais pourquoi était-ce inscrit si bas ? Des trous noirs dans le mur compliquent la question. Les neufs fenêtres, celles des six belles chambres en étage, et la salle à manger en bas. On y venait de loin les dimanches de printemps manger les gigots d’agneau et les pommes de terre sautées, les belles tranches de jambon cru, les salades bourrues, les fromages aux odeurs de lait et de bête, les desserts d’œufs et de crème pour sublimer les cerises. La minuscule lanterne au-dessus de la porte fera au soir un halo de fée, protection de la vie rude qu’ouvre la clef dans ma main.
2020 HIVER MAISON ARDOISE MARGERIDE
tu nous donnes envie de pousser la porte, de nous installer à la table pour manger une salade bourrue ou une tranche de gigot d’agneau flageolets
on s’y sent merveilleusement bien
on va même te demander si on peut t’emprunter la clé du lieu quand tu n’y vas pas…
Mais avec plaisir ! J’en ris, à vrai dire, c’est vrai que j’ai essayé de rendre aimable ce lieu assez austère, c’est intéressant de voir comme d’une image ce dont on ne dit mot disparait…le béton, dans ce coin de Margeride… inverse de ton texte, donc –
Merci Catherine Serre. J’aime beaucoup : « l’hiver la déshabille car on voit à quel point elle est sévère ».
Quelle belle description !
J’aime bien l’idée de la balise sur le bord, une maison-phare, une maison-sémaphore.
Impressionnantes, les qualités de présence que prend la maison à travers ton texte. Merci