Un jour, alors que Bernadette M. était plongée dans l’eau de source d’une piscine à douze degrés, une chaleur diffuse a parcouru son corps et la voix a murmuré : enlève tes appareils. Elle a lentement retiré le corset, l’attelle et le neurostimulateur. Le pied gauche était redressé. Elle a arrêté la morphine. Elle est partie marcher cinq kilomètres dans la forêt.
Un autre jour, elle a traversé le couloir jaune verdâtre du bureau des constatations médicales, elle s’est installée dans un des grands canapés de la salle d’attente. Elle a patienté, le temps qu’on lui a imposé.
Un jour de mai, il pleuvait fort, j’avais quitté l’hôtel de la Solitude pour parcourir la longue rue commerçante qui descend vers le Gave de Pau. Les pèlerins étaient rares, plusieurs devantures étaient tirées, les façades décrépites affichaient leur mélancolie sournoise. Dans une boutique de souvenirs, j’ai répondu au clin d’œil d’un Jésus dessiné en illusion d’optique, j’ai joué machinalement à retourner un stylo pour faire entrer puis sortir Bernadette S. de sa grotte, j’ai contemplé les gourdes en plastique à l’effigie de la Vierge Marie. Mais j’aurais tout inventé pour rencontrer le docteur de la grotte, pour qu’il me raconte les vies de ceux qui viennent le voir au bureau des constatations médicales.
Ce jour-là, le docteur F., allure impeccable, costume parfaitement coupé et cravate en soie, raccompagnait une Américaine qui s’adressait à lui pour une consultation médicale. Je suis interdit de consultation. C’est écrit dans mon contrat. Je ne reçois que des gens guéris. Mais Bernadette M. c’était une autre affaire. Enfoncée dans son canapé, elle tenait serrés contre elle les dossiers avec les papiers répondant à tous les critères : un pronostic grave, une guérison soudaine, instantanée, complète, durable, inexpliquée, les comptes rendus des experts, les examens complémentaires. Elle avait attendu presque dix ans. Mais ce jour-là, le docteur est revenu avec le sourire. Il tenait son numéro 70. Il projetait en rêve le petit portrait encadré au-dessus de son bureau à côté des soixante neuf autres. Il n’avait pas hésité à franchir la frontière italienne, dix ans auparavant, pour affronter le cartésianisme français, pour dire, au nom de la science, qu’une guérison était inexpliquée. Ce jour-là, neuf psychiatres japonais l’attendaient aussi dans le couloir. Peu importe, il entendait déjà les pleurs du curé et la voix tremblante de l’évêque devant les journalistes ricanant.
Excellent, créatif et décalé. On aimerait connaître l’avant et l’après ce morceau de récit.
Merci Perle pour ces lectures fidèles. Pour l’avant et l’après, il faudrait vraiment que je rencontre ce médecin… Je n’ai pour source qu’un petit article de presse.