Un groupe si serré qu’au premier abord il semble n’être qu’une masse de corps noirs rongé de blanc et mangé par un flou qui résulte de l’éclat d’un flash mal réglé et de l’avancée cahoteuse sur les trous de terre de l’espace herbu plongé dans la nuit du ou de la photographe ou peut-être aussi provoqué en partie par le frissonnement des silhouettes regroupées dans le froid en un conciliabule où chacun s’appuie sur les autres un amas de corps d’où sur la gauche après une chevelure féminine retroussée sur une écharpe claire un visage masculin noyé dans la lumière artificielle mais dont la fente à peine dessinée des paupières et la légère ouverture du bout de lèvre que l’on devine au dessus des renflements que sont les épaules des personnages au premier plan indique que c’est lui qui parle ou peut-être qui lit une proclamation préparée et qu’écoutent figés par le froid et l’attention les grandes robes sombres qui l’entourent sur lesquelles pendent souplement les écharpes lestées par les grandes taches blanches que viennent d’enfiler par dessus leurs jeans ou pantalons et chandails confortables les jeunes avocats réunis pour manifester malgré l’indifférence et que l’appareil a cadré de très près coupant les crânes des plus proches et les jambes.
Image nocturne emportée dans le flou où la silhouette à peine devinée d’arbres domine l’ordre anarchique d’une longue file de corps vêtus de chaud aux visages noyés dans la nuit ou en sortant violemment sombres ou clairs mais uniformément fantomatiques éclairés par des petites barres blanches tenues en main qui s’achèvent en taches lumineuses circulaires ou déformées par le vent ou par l’avancée rapide dans le froid de cette marche aux flambeaux dominant en frise le parement sculpté d’un mur de soutènement.
Une photo nette mais qui ne devait pas être une photo de groupe avant que le groupe soit ou soit tel qu’il était désiré groupe d’adolescents ou de très jeunes hommes assis devant une grille sur les marches d’un bâtiment public grands adolescents aux noirs visages masqués de blanc ou de madras coloré sur la bouche de celui installé au centre de la marche du bas le seul à le porter sous le nez l’un des deux dont le visage est encadré par les fils des écouteurs de son téléphone que d’ailleurs il ne regarde pas ses yeux comme ceux de ses voisins étant fixés vers la droite sur celui ou celle qui a décidé de cette photo de groupe alors que les deux qui ferment les rangées à gauche viennent de se tourner pour guetter d’éventuels arrivants hors cadre jeunes visages sous cheveux coupés très court au dessus des tempes soigneusement rasées à l’exception des petites tresses dressées sur la tête de celui qui tout en haut vers la droite est plié en avant dans l’équilibre instable du corps qui se lève pour aider la jeune femme en jean et chandail noir descendant chargée de pancartes menton propulsé en avant pour jeter un attend au photographe posté en attente sur la droite son mouvement étant assez mesuré pour ne pas troubler cette image prise à la sauvette tout comme celui de la forte femme qui en bas des marches est en train de se soulever en tournant le dos pour changer de place montrant au dessus de la courte tunique portée sur un collant noir la boule enveloppée dans un tissu à carreaux clairs où se niche un bébé dont la joue plongée dans un sommeil imperturbable se blottit contre le dos de sa mère vu en perspective fuyante.
Noyée de lumière ou surexposée l’image dont les deux tiers sont occupés par un groupe de profil composé d’humains au milieu de leur âge en vestons ou manteaux classiques avec chapeaux ou cheveux légèrement désorganisés par l’air libre mains dans les poches ou bras croisés écoutant avec attention un orateur situé hors champ quelque part au delà de l’homme qui occupe le dernier tiers à droite de cette photo non cadrée venu en gros plan exposer de face un cou de taureau surmonté du bas d’un masque noir au dessus d’un décolleté nu et du haut d’un pardessus déformé par le mouvement du bras qui vient se croiser avec son jumeau hors de l’image.
L’appareil en avançant porté avec distraction a rendu très légèrement flou le personnage qui se trouvait là sur son chemin vers le cortège à rejoindre après un petit réglage et qui occupe une grande partie de la photo en gros plan vu de trois quart dos personnage qui s’il est immobile sur le trottoir mains dans le dos de son léger blouson noir comme l’est le béret enfoncé sur les oreilles ne dégageant qu’un grand front nu au dessus de petites lunettes rondes et d’un masque blanc soigneusement mis semble être partie prenante de la manifestation guettant peut-être un groupe auquel se joindre pendant que défilent en partie masquée par lui mais s’éloignant en biais sur la partie droite de l’image la petite foule hétéroclite mélange de corps plaqués les uns sur les autres par le zoom en une seule image mêlant les chevelures féminines les casquettes les vêtements hétéroclites les peaux noires claires ou bronzés quelques cartons brandis de travers portant sans doute des slogans sur la face invisible tapisserie grossièrement tissée d’où se détachent une main ponctuant un argument dans une de ces conversations particulières que charrient toujours en dessous des slogans ou des chants esquintés les manifestations et surtout les dessous de semelles relevées par les pas qui propulsent l’ensemble.
Bonjour Brigitte
Magnifiques textes-images de groupes et de foules. L’absence de ponctuation nous entraîne dans ces clichés écrits au plus proche du réel. Merci beaucoup !
pas très commode pourtant… grand merci Fil (pour votre gentille lecture et votre rapidité !)
la similitude avec Françoise Breton – ces images de groupes (comme je viens d’en faire quelques unes – mais toujours se battre et rester debout – merci à vous
oui mais Françoise est actrice potentielle moi suis témoin (bon à vrai dire agissant d’où le flou)
Chère Brigitte, je suis vraiment impressionnée par ces évocations en mouvement, très denses, souples, éclairées plein jour, toujours en mouvements, caméra d’une précision inouïe, même dans la nuit, c’est prodigieux d’avoir réussi un tel défi, des images me restent en mémoire comme le détail inattendu marquant de l’enfant endormi, vous êtes l’oeil d’investigation de La Rue
(j’adore aussi vos photographies….)
trop gentille Françoise (et chut j’ai peut être un peu triché…)