Tu as oublié de tourner la tête et ce tronc est tout ce qu’il te reste. Tu as tourné le dos une seconde ou une éternité ? Qu’importe ! Tout est passé à côté de toi, sans que tu ne t’en aperçoives. Il faut te contenter d’un corps mutilé qui ne scintille que par les yeux absents, pourtant porteur d’un sens que tu ne peux nier, car c’est toi qui l’as bâti par ta propre lassitude. Il fallait regarder avant le désastre et la perte, ne pas combler l’absence par tout ce qui t’est désormais interdit. Il fallait contempler la beauté avant qu’elle ne se dérobe sous le regard oblique, il fallait être là au moment du possible. Reconstitue comme tu veux l’allégresse mouvante, reprends l’illusion d’une contemplation entière et intacte. Tu te retrouveras toujours devant ta propre défaite. Change de vie.
Sur le poème de Rainer Maria Rilke (traduction de Jean Starobinski, L’Image récalcitrante)
Torse archaïque d’Apollon
Nous n’avons pas connu sa tête inouïe,
où mûrissaient les prunelles. Mais
son torse rayonne encore comme un candélabre,
où son regard, d’une source plus reculée,
se dresse et luit. Sinon, l’arc de la poitrine
n’aurait pu t’éblouir, et de la calme torsion
des lombes ne pourrait monter un sourire
à ce centre qui portait le sexe.
Sinon, cette pierre mutilée et raccourcie
ne serait pas debout sous la chute transparente des épaules,
elle n’aurait pas ce flamboiement de pelage félin,
elle ne rayonnerait pas hors de toutes bornes
comme une étoile : car il n’est aucun point de sa surface
qui ne te regarde. Il faut changer ta vie.
« il fallait être là au moment du possible »
Merci Helena. La force des intertextualités peut changer la vie. Merci.
Merci Ugo ! Oui, les intertextualités nous aident à mieux comprendre et aussi à ne pas regarder trop tard !
Regarder avant le désastre et la perte, ne pas combler l’absence par tout ce qui t’est désormais interdit. C’est si beau mais il n’y a que dans la fiction que ce beau jeune homme aurait pu se garder de l’avenir. Ne pas regretter le passé c’est déjà pas mal. Merci Helena. .
Merci infiniment de ta remarque, Bernard. Le texte s’adresse aussi au spectateur qui n’a pas pu admirer la beauté entière. Et c’est là sa défaite. Merci encore d’avoir mis l’accent juste sur l’ambiguïté. Cela me permettra d’être plus précise la prochaine fois !
Bonjour Helena
Merci beaucoup pour ton très beau texte en variation et sous l’égide de Rilke.
Je suis vraiment touché.
Merci infiniment, Fil. C’est moi qui suis touchée par tes mots !
Quelle belle idée et très beau texte !
Merci infiniment, Muriel ! C’est la première idée qui est survenue quand j’ai écouté la proposition de François.
c’est beau ton courage de parler avant Rilke. Bravo.
C’est parce qu’il a toujours été là, dérangeant et beau, ce poème de Rilke, que j’ai osé en parler. 🙂 Merci infiniment, Danièle !
« Il faut te contenter d’un corps mutilé qui ne scintille que par les yeux absents… »
Admiration pour cette phrase et toutes les autres de ce très beau texte. Bravo et merci.
Merci à vous, Marie ! Et merci aussi pour vos deux superbes textes de cette proposition !
c’est l’image du corps mutilé qui me frappe, pourtant si dessiné et bras sans doute levé dans la version complète comme pour atteindre un autre ailleurs
et c’est le « change ta vie » qui me frappe aussi, me bouscule, m’interpelle, surtout dans cette période mouvementée
merci Helena pour cette proposition qui nous ramène dans la lumière du marbre et de la poésie de Rilke
Oui ! Ce « change de vie » est tout à fait étrange dans le poème de Rilke. Il m’a toujours interpelée. J’ai essayé une possible réponse, même en courant le risque de me tromper sur toute la ligne 🙂 Merci de ton appréciation, Fançoise !
Étonnant comment l’amplitude et l’injonction sourde du poème sont doublées dans votre texte actuel avec sa tonalité contemporaine. Belles générosité et porosité.
Merci, Nolwenn ! Ce « change de vie » m’a posé un vrai défi, il métamorphose la description de Rilke en une injonction à laquelle on ne peut rester indifférent ! Merci encore de votre appréciation qui y ajoute une touche supplémentaire !
Helena, tu nous donnes là un superbe ensemble. Tout tellement vibrant. Lu juste après ta #03, j’y ai trouvé une espèce de corrélation comme une métaphore du texte qui échappe et pourtant dont le tronc est tellement présent. Le regard que l’on porte sur les choses, la scène soi-disant banale de ta 03, ton projet du codicille. Mais ce n’est que ce qui a résonné en moi à la lecture. Vraiment merci, si beau tes textes. Et le il faut changer ta vie, et ton change de vie. Grand.
Votre commentaire me touche énormément et il m’aide aussi à tenter de voir plus loin.
« comme une métaphore du texte qui échappe et pourtant dont le tronc est tellement présent » : c’est exactement cela, Anne ! Merci infiniment pour ce bienfaisant encouragement à poursuivre !
le poème de Rilke et ton beau texte Helena aident non pas à regarder mais à VOIR.
il y a dans le mouvement de ce corps tronqué une invitation à dépasser les limites;
Absolument, Huguette ! Heureuse de lire votre appréciation !
Ces mots se lisent comme un chant, Helena, un chant chargé d’infinis possibles, merci infiniment.
Merci, Christiane, pour votre bel encouragement !
Comme si la mutilation de la pierre renforçait l’élan vers,
le regain de vie dans la contemplation , l’urgence qui surgit de la contemplation : urgence à dire ce qui soulève le coeur, avant l’effritement de tout
Immense merci Helena
vous lire est cet éclat sensible que vous dites
Oh, merci, Françoise ! Vos mots me touchent beaucoup. Parce qu’ils sont si généreux et si beaux !
les mots et le marbre chantent. L’incomplétude déchire le silence c’est beau
Oh, merci Nathalie !
Bonjour, le dispositif m’a amené à un cheminement particulier : la première phrase, pour moi si forte, est aussitôt entrée en résonance avec l’image, ce qui a créé un moment de suspension. Je n’ai pas tout de suite pu continuer le texte, suis directement allé aux mots de Rilke et suis ensuite remonté vers votre texte… Pour un moment au total très beau, merci !
Merci Philippe ! J’ai essayé de donner sens au dernier vers de Rilke, mais je sais que c’est risqué !