Années sur l’eau. Sur l’eau parce qu’il y a la mer, l’océan, les rivières et les lacs et que l’on s’y baigne, qu’on y navigue aussi sur l’eau. Photos sans entraves, cette fois, sans entraves sauf celle de la couleur, semble n’avoir aucun intérêt… alors, noir-et-blanc pour les bouées, les matelas, les bateaux pneumatiques, à lire en bleu et blanc le noir-et-blanc sur le papier brillant, rustines ici et là, noires, vraiment noires sur le bleu du fond parce que, dans le sable, quand on pousse ou qu’on tire pour une sortie à plein pied ou bien la mise à l’eau, ça perce les pneumatiques les éclats de coquillage dans le sable ; visages noir-et-blanc, lire rouges à force de souffler avec la bouche pour gonfler ; avec le pied il faut attendre encore. Sur l’eau – le temps, pour la photo, du sourire, du rire ou de la grimace – pagaies à l’œuvre ou bien sagement posées en travers, et le vent de terre se lève, première dérive, panique, pas le moment de prendre la photo, qui ne dit pas la peur de celle qui a peur de l’eau, qui jamais n’apprendra à nager, elle maîtrise cependant sa peur tant que la marée monte. Années kayak, ossature à monter-démonter, patience d’ange, effervescence au premier jour de juillet, manque d’entrain à la fin ; le squelette est de frêne, contre-plaqué bakélisé, on le glisse sous sa toile marine. Années sans voiles et puis avec ; années dériveurs et dérives lentement montantes, douces eaux douces et salées, sillages St-Quentin, Morbihan, Finistère et landes atlantiques… humbles sillages dans celui des grands, Alain Colas, Florence Artaud, Éric Tabarly, Route du Rhum, sa première édition, Novembre 78 – photos couleurs entre Saint-Malo et Cancale – mais bientôt il n’y a plus de ciel, il n’y a plus de ciel du côté des Açores, bientôt, plus de Manureva non plus, juste la chanson, jamais, jamais, tu n’arrivas, et les mains se rejoignent comme dans la chanson aussi, l’autre, noir-et-blanc, croches, silences et doubles croches, chacun va son chemin jusqu’à l’endroit du destin, Flo, le nom que tu voulais, Flo bien plus grand qu’un Madame, Flo, ton vent de liberté et Sainte-Marguerite tout au bout du voyage, chacun est fait comme il est… et toi, Pen Duick, petite mésange noire planant léger, déposant dans un creux de la mer d’Irlande celui qui, par cinq fois, te façonna et te refaçonna… Dans le buffet en teck, les années pneumatiques, dériveurs et kayak se sont encalminées tout au fond du tiroir, le troisième. Vies en creux de leur passion, passions au cœur de la vie, la leur, éclats d’heurs et de malheurs, de mitrailles, d’obturations… flous, images manquantes, coupures de journaux, des traces comme d’autres, rester dans le sillage, photos noir-et-blanc-couleur, salvatrices rustines des mémoires perforées par le temps… il reste ce que l’eau et le vent apprennent, ce qu’ils inscrivent dans le corps, l’angle du vent, la houle, la quête du naviguer au près – au près serré du vent, du vent quand on le tient – la prendre au plus près la photo, pas au plus près du plus près zoomé, au plus près de l’instant, au plus près de soi, au plus près de lui, de ce qui est monté ; barrer la vie, la danser, la marcher, la voler, l’écrire ou la photographier, la jouer sur un coup de dé, chacun son vent, on prend feu comme on peut… alors, trouver le sien, le garder, prendre de la gîte mais sans trop, la prévenir car la gîte, déjà, est dérive, dérive vers un pot au noir ou l’œil d’un cyclone, prévenir le faséiement, trouver son vent et le garder, y naviguer au plus près, plus près serré de soi, et puis changer de vent, changer de vent encore et tout recommencer pour cette sensation de le trouver, de naviguer au près serré de lui.
Haletant, magnifique ! Merci Christiane.
… merci, Muriel, contente que le rythme t’ait plu.
Bonjour Christiane
Voilà un beau texte au près serré de ton extrême proche !
Merci pour ce beau moment de lecture !
du près serré et toute une vertigineuse vie aux vents des larges. j’embarque.
Un extrême proche qui berce, comme un petit reste de houle, le soir au mouillage quand on regarde le ciel est ses nuages bien calé dans le cockpit… Merci pour la balade !