Sortant du bois, de la moiteur organique des taillis, inextricables enchevêtrements de ronces, d’épineux, d’aubépines, en s’avançant sur des mousses spongieuses bordées de corolles blanches dans l’odeur entêtante de l’ail des ours. Sortant du bois sans rien avoir trouvé de concluant. Juste une chaussure en caoutchouc noir de taille 44, n’ayant probablement aucun rapport avec l’affaire. Le soulagement qu’il éprouve maintenant qu’il marche dans la clairière, le long de l’étroit canal où se reflète le ciel. Il remarque la symétrie du paysage que partage la ligne d’eau toute droite. Il pourrait suivre le canal jusqu’au pont de Cusey ou même jusqu’au pont de Dommarien. Avant de ramasser la chaussure, les mains soigneusement revêtues de fins gants de vinyle, il a pensé à la photographier in situ sur le tapis de grandes fougères aplaties où il l’a trouvée et à noter les coordonnées GPS précises de son emplacement. Qu’est-ce qui a pu aplatir ainsi ce massif de fougères déjà roussies ? Que faisait là cette chaussure quasi neuve ? Sa forme de sabot et son embout renforcé font penser à une chaussure professionnelle. Il l’a placée dans un sac de plastique avant de la ranger dans son sac à dos. Dans une dizaine de mètres, le canal se glissera sous un pont herbeux. Le ciel est chargé de nuages immobiles. L’orage n’arrive pas à craquer, à secouer la pesanteur de l’air. Tout reste lourd, figé. Il a envie d’arrêter sa chasse pour aujourd’hui, de souffler un peu et se contenter de marcher le long du canal, peut-être jusqu’à l’écluse ou jusqu’au bord de la Vingeanne, devant les remous d’eau vive. Mais c’est impossible. Impossible de s’arrêter là. Avant la nuit, avant qu’il pleuve, il faut continuer à chercher des traces, des indices, des objets, n’importe quoi… chercher… fouiller… Les yeux grand ouverts de la femme, leur gris-bleu définitif, l’obsèdent. Ça clapote sous l’arche basse du pont où le canal s’enfouit. Avec une branche sèche il tire vers lui l’objet qui flotte et bute contre la pierre du muret : une autre chaussure noire, en forme de sabot, munie d’un embout de protection.
Mots clés : 2020 - large - été - voies navigables - Langrois
ah drôlement chouette ce début d’enquête…
Merci beaucoup Catherine, ça me donne envie de poursuivre…
Extra ! (J’adore) (mais que faire de cette paire…?)
Et oui qu’en faire ? Merci Piero pour cet écho.
Étonnant comme notre regard sur la photo change après la lecture de ton texte. Je la vois cette chaussure, et plein d’autres détails aussi.
J’ai souvent l’impression qu’en écrivant j’essaie trop de décrire ce que je vois (dans le réel ou dans ma tête), alors si mon écriture peut susciter des images chez les autres, ça me fait grand plaisir. Merci Jean-Luc.
on est tout de suite embarqué dans l’histoire, la chaussure est une clé, et que le paysage est bien décrit !
Merci beaucoup Huguette de la lecture et du retour.
Bravo, ça commence avec une description lyrique et se termine comme un thriller. On est happé, j’ai eu des frissons quand il trouve l’autre chaussure, j’ai besoin de savoir la suite.
Merci beaucoup Irène ! Il faut donc que j’écrive la suite…
Une photo si paisible, eau et vert, rien que du vert…
alors forcément on ne s’attend pas du tout à trouver une chaussure, de femme ou de fée, et puis on part au fil du canal, on ne sait pas ce qui peut arriver
un vrai fragment de livre noir….
Ces paysages paisibles, bois et eau, juste au nord de ma Bourgogne natale, sont pour moi pleins de mystères et d’ombres… Merci Françoise de ta visite et pour « un vrai fragment de livre noir »
Oui, je veux la suite. Comme l’écrit Irène la description du début ne laisse pas imaginer où tu vas nous conduire. Très réussi. Il n’y a plus qu’à…
oui, il n’y a plus qu’à… merci beaucoup Anne pour cette invitation à poursuivre
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