C’est toujours comme ça que les choses se passent, c’est certainement écrit dans un registre tenu par un vieil homme qui en sourit. Il sait, lui, qui regarde le petit phare. Il attendait que cela arrive, quand il y réfléchit, il se rend compte qu’il a tout mis en place depuis longtemps. Il ne le voyait pas à l’époque, quand il a décidé de revenir, il commençait à suivre un chemin tout tracé. Il pensait être libre, que son passé n’avait rien à voir dans son choix. Il ne voyait pas que cela lui collait à la peau, comme un vieux chewing-gum sur une semelle. À chaque décision il allait vers cette issue. Il a commencé par s’installer à Saint Valery, bien sûr il y avait cette rue qu’il évitait. Quand il s’en approchait, le vertige l’arrêtait, il a essayé plusieurs fois de s’approcher de l’endroit, il était coincé entre ce courage qui le poussait à affronter l’obstacle et arrivé sur les lieux, il était devant cet échec qu’il savait inévitable. Il s’en voulait toujours, pour quoi continuer d’essayer, pourquoi s’abîmer, pourquoi se punir. Mais il était revenu pour elle, il le savait. La Somme restait ce petit fleuve à l’eau noire, rien ne changeait. Le bac ne fonctionnait plus. Il allait attendre ce soir comme les autres soirs, la fermeture du café, assis dans sa voiture sur le parking du petit train. Il la verrait descendre le rideau roulant. Un an qu’il espérait la croiser par hasard, pourtant la ville est petite. Demain, il recommencerait à traîner dans la rue de la Ferté, cent fois il s’était imaginé cette rencontre, il avait prévu chaque réplique possible, tournée dans sa tête la scène sous tous les angles, il était convaincu d’être prêt, enfin il essayait de le croire. Dans son dos le phare éclaire la baie. Elle ferme le café, ce soir, il ne bougera pas. Une voiture est venue se garer un peu plus loin, deux jeunes hommes à l’intérieur discutent avec de grands gestes.
littoral Vimeu
merci Laurent pour ouvrir ainsi le livre, d’emblée le jeu du poème et de la fiction… et parfait avec l’image…
c’est un peu ça avec les photos de ‘ARN cette impression de déjà vu déjà ressenti depuis toujours écrit un peu comme une mélancolie depuis les siècles des siècles et qui colle jusque dans les mots de cette attente immobile.
merci
Durassien en diable, cette évocation amoureuse. Et le phare – sa dimension métaphorique – comme point d’accroche dans une vie, comme pilier peut-être auquel se (re)tenir ?
Merci, histoire d’amour? Peut-être.
je ne sais pas très bien parler des textes. Merci Laurent pour celui-ci, je le trouve parfait. Comment dire, droit au coeur, et la Somme et St-Valery et le phare, et son attente à lui. Un grand merci.
Alors là, je ne suis pas du tout d’accord, tu parles très bien des textes,.. Un immense merci Simone.
Oui, oui c’est [certainement] écrit dans un registre tenu par un vieil homme qui en sourit : un peu plus loin sur la droite, il y a un petit bâtiment et trois ou quatre arbres. Je les ai eus longtemps en fond d’écran, ils m’ont bien fait rêver. .
émotion (et puis le rythme du texte et son calme, en plein accord)
Le texte hésite, et puis il est prêt. L’attente s’offre aux lecteurs dans les dernières phrases. Le décor est posé, dans la lumière intermittente du phare.
Te lisant, je pense aux rencontres de La Grande Beune, de Michon. Essentiellement manquées… Ce texte-là en tous cas, tu peux le déployer du dedans quand tu veux : il y a de la matière pour 200 pages !