les sources qui ruissellent de ce plateau. Elle ne savait plus ce qu’avaient dit les deux archéologues. Elle se demanda ce qui coûte le plus, du premier ou du dernier pas. Presque atteint, le but qu’elle s’était donné lui paraissait inatteignable : étrangement puisqu’elle irait jusque là et que tout à l’heure, les sources de la Seine ne seraient plus simplement un nom, une idée abstraite, une représentation, mais deviendraient la réalité d’une sensation, formeraient la matière d’un futur souvenir, se cristalliseraient en image vécue. Les possibles du lieu se refermeraient sur l’évidence du lieu, son unique évidence. Elle ne voulait pas en arriver là. Et si le but n’était pas le lieu, mais le chemin ? Son voyage, peut-être, ne faisait que commencer. Elle ne se sentait pas la force d’y penser. Un vers de Pesoa lui revint, un seul et même vers qui lui battait aux tempes, au-delà du tournant de la route. Elle voulait savoir ce que disait le reste du poème, comme une urgence, cela la brûlait, mais elle ne parvenait pas à s’en souvenir. La fatigue la reprenait comme avant son départ, la fatigue dont elle croyait s’être débarrassée au fil des heures de route et dans l’odeur humide des draps de l’auberge de Châtillon. Elle trouva soudain ce qu’elle aurait dû répondre à la plus jeune des archéologues à propos de sa princesse gauloise, ce qu’elle aurait pu lui répondre et qu’elle ne lui dirait plus désormais, même s’il leur arrivait se croiser encore. Elle tenta de ne plus y penser pour se concentrer sur les vallons herbeux bordés de futaies aux branches frémissantes, que le soleil caressait au rythme des nuages. Elle avait l’impression d’avancer tout droit, et pourtant sans arrêt il lui fallait rétrograder, négocier des virages serrés. La route était bien plus difficile que la douceur du paysage le laissait supposer. Les contours du monde, parfois nets et contrastés, se perdaient parfois dans une brume perlée qui
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une "page" détachée du corps d'un roman à écrire
Que la platitude apparente regorge de détours et de sources (de jaillissements ? de gisements ? de profondeurs ?), voilà qui est très enthousiasmant
Merci pour cet enthousiasme !
oh oui un texte qui glisse sur le tournant de l’herbe et toutes les sources qui y sont cachées et le reste
on la sent elle, à la fois épuisée et mystérieuse
on a envie de recommencer de lire au début, ça pourrait se lire comme ça en boucle longtemps…
Beau compliment que tu me fais.
en tout cas j’adore le titre (qui va comme un gant au reste) (et ce tournant dans le champ…)
J’allais écrire « merci Pesoa » mais lui c’est le tournant, et le titre évoque le bord de l’image, le bord de la réalité.
Oui ! Le titre est extra. Jusqu’où ira son retour aux sources ? Et en fond, je pense à la dégradation par l’humidité
retour aux sources et humidité, ça me donne des idées…
incroyable comme cette douceur apparente donne le vertige
merci Caroline
Qui pourrait durer encore nous emporter encore ce texte … c’est beau
Merci beaucoup Nathalie.
ce vertige incroyable, peut-être parce qu’il faut comme nier la progression, l’oeil seul arpente et marche, pour que l’image prenne racine et s’établisse – peu importe ce qui pourrait être découvert à l’issue du trajet, ce qui touche est simplement ce qui se déploie
sans recherche
la vie en spirale
merci vivement Laure pour cette étonnante évocation