M., qui gravit les escaliers du château d’eau, le souffle un peu court, est un ancien plongeur sous-marin. Peut-être a-t-il gardé de son entraînement militaire quelques automatismes de défense. Ils lui ont sans doute été utiles, lorsqu’il a quitté l’édifice imposant, une nuit, et que deux ombres hostiles se sont approchées. Le rapport de gendarmerie a fait état d’un vol d’outils, de coups et blessures. M. avait répondu, une heure auparavant, à une alerte automatique : « Attention, le niveau bas est atteint ». Astreinte harassante, qui le fait quitter un lit chaud, la mine chiffonnée, et monter dans sa camionnette du service des eaux, rallier la masse noire du château d’eau planté là-haut, dans la nuit. Dans la solitude du réservoir, à peine troublée par des clapotements, il dépanne. Chaque geste fait naître des ombre démesurées sur la voûte en béton. Une autre nuit, c’est la panne de l’armoire à chlore qui le fait intervenir : M. en ouvre la porte. Une brume toxique s’échappe et l’étouffe, lui brûlant les bronches et les yeux. Il aurait pu chuter dans la descente de l’interminable escalier tournant, aveuglé par les larmes, agité d’une toux déchirante. Une autre nuit encore, alerté par un bruit mécanique à l’extérieur du château, il s’avance, lampe de poche à la main, et prend dans son faisceau la maille brillante de la clôture puis un torrent malodorant et noirâtre qu’un tuyau vomit dans la rivière. Vidange sauvage de cuve. Il pointe la torche vers les pollueurs, qui mettent une main en visière. Vers la plaque d’immatriculation du camion. Les ombres noires s’agitent, M. entend un cliquetis métallique. Une clé anglaise ? Bruit liquide, l’immonde boue cesse de se déverser, le tuyau noir serpente, recule, lâche un dernier filet empoisonné, l’ombre l’avale.
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