Elle se dirigeait vers la sortie du musée lorsqu’elle a aperçu les coquelicots rouges sur le flanc vert d’une colline choisis pour illustrer la page de garde du guide. Elle connait ce tableau ou plutôt un de ses produits dérivés. Elle cherche depuis longtemps un ancien carnet à elle illustré de ces mêmes coquelicots. Elle repose le guide sur le présentoir et renonce à sortir du musée. Elle s’engage à présent tête baissée dans les escaliers qui la mènent au cinquième étage, à contre-sens d’un groupe de touristes étrangers qui s’agacent de la laisser passer. Elle persévère au milieu des masses sombres qui descendent lourdement vers la fin de leur visite. Au cinquième étage, elle se fraie un passage au milieu de la foule, et trouve un rythme qui lui permet de regarder alentour sans s’arrêter. Alors que la galerie touche à sa fin, elle l’aperçoit enfin, tout petit au milieu des autres. Elle s’approche sur le côté, s’arrête, le monde environnant tourbillonne dans son champ de vision mais elle n’a d’yeux que pour lui. Elle se laisse surprendre par le trouble qui monte en elle, né à la base du ventre, sous forme d’une charge ascendante qui vient perler sur le bord de ses yeux grands ouverts, percutés par la beauté et le souvenir mêlés. Elle vibre, ne lutte pas contre l’émotion qui la prend tout entière, retrouve presque un parfum qu’elle connait bien, à moins que ce ne soit celui de la femme à côté d’elle qui la frôle. Elle s’attarde un peu, à l’endroit précis où elle est entrée en cohérence avec son souvenir. Plus tard, elle n’en voudra même pas à l’homme qui l’a poussé pour se mettre bien en face du tableau et l’engloutir dans la galerie d’images de son smartphone. Elle aussi a capturé le tableau dans son téléphone, pour garder une trace, comme elle dit.
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