il y a celui-là et puis d’autres répartis le long de la côte, il les connaît, il les a répertoriés, il sait, il a connu l’époque où l’espace du pays était devenu étroit et impossible à respirer avec l’occupation du littoral, les hommes nichés dans le béton à surveiller la mer et l’embouchure du fleuve, l’espace de la mer changeant d’une heure à l’autre et l’espace de l’estuaire pouvant aussi amener le danger, les hommes casqués habillés tous pareils qui vivaient comme des bêtes dans ces terriers froids et humides, déchets entassés à force de temps à encombrer de puanteurs les chambres dans le béton pourtant ouvertes au large, mégots, boîtes de conserve, branchettes brûlées et tas de cendres, bris de verre, déjections, mais comment pouvaient-ils vivre dans ce trou à plusieurs avec armes et nostalgie de leur chez eux à se donner des maux de ventre — à se demander s’ils ne s’étaient pas piégés eux-mêmes à se terrer comme ça —, et lui les surveillait de loin enfant qu’il était, une fois il avait tenté de voler une paire de bottes qu’un boche avait mises à sécher sur la lande à quelques pas de la galerie qui plongeait dans la plateforme herbeuse, il s’était faufilé en rampant sous les cyprès et hop les avait embarquées dans sa musette, si fier de les montrer aux gens du bourg — ah ce besoin pressant qu’il avait d’accomplir des actes héroïques, de se distinguer de la masse des garçons de son âge nés avec rien sur le dos et sans éducation —, on lui disait qu’il allait se faire flinguer à prendre des risques idiots mais il n’en avait rien à faire, il voulait faire le fanfaron, c’est comme ça qu’il trouvait la force de vivre, et ce n’est que des années plus tard — les hommes en uniforme avaient levé le camp depuis longtemps, du moins ceux qui n’étaient pas morts — qu’il est entré à l’intérieur et qu’il a mesuré la froideur du béton jusque dans ses os et l’odeur encore présente de la guerre, murailles éprouvées par les vents puissants et galeries investies par certaines espèces végétales capables de s’insinuer dans les fissures, béton pareil au schiste paré de lichens, petites taches jaune d’or allant s’élargissant et finissant par se rejoindre pour former une pellicule en relief pareille à une broderie, le fol vertige du passé venant le secouer par intermittences à mesurer les défis, les dangers, la rage, le besoin de vengeance
MOTS-CLÉS BÉTON | BLOCKHAUS | LANDE | SURVIE | HÉROÏSME | ESTUAIRE | PAYS DE RETZ
Bonjour !
J’aime que le lieu soit nommé béton et décrit par ceux qui l’utilisent, ou les objets qui l’entoure, et au final soit encore une fois décrit même de l’intérieur par les écarts, les recouvrements, les manteaux de végétation,
l’effet est fort,
Merci à toi pour ton écho, pour ta présence réconfortante…
cet effort ultime pour être dans les clous
comme en urgence saisir au fil des images vues sur le site Altas celle qui fait déclic, celle qui fait qu’à cet instant il nous pousse des mots…
après ça vient comme ça vient, faut laisser faire
merci encore à toi, Catherine
Puissante évocation de la vie dans ces blockhaus. J’aime beaucoup la matérialité de ton écriture.
j’ai laissé venir « le stimuli » et il est venu… et je suis partie sur ce que je connais, ces constructions qui hantent la côte où je suis née par les évocations multiples de mon père tout au long de sa vie
d’où la matérialité sans doute
(j’écris mieux à partir de ce que je connais, de ce que j’ai touché, senti…)
Merci Muriel, merci à toi pour ton passage…
Et toujours ta patte à décrire si bien la matière qu’on a l’impression de la toucher. J’aime le personnage évoqué, qui se dégage du texte court. Tu le donnes bien. « — ah ce besoin pressant qu’il avait d’accomplir des actes héroïques, de se distinguer de la masse des garçons de son âge nés avec rien sur le dos et sans éducation —. Et le titre que l’on croit choisi pour les autres, les adultes, les soldats et puis non, pour lui. C’est top. Merci, Françoise.
ah ta lecture toujours douce et bienveillante, merci Anne
j’ai voulu rester concentrée sur ce personnage, d’abord enfant côtoyant la guerre, puis adulte visitant les espaces-cavernes en bord de littoral où ils étaient terrés tous ceux qu’on appelait les Boches…
je me souviens de ce mot dans la bouche de mon père…
on le voit bien ce môme, c’est une espèce de longue phrase qui va de l’enfance à l’âge adulte et puis et puis… vraiment bien cet espace sans point (bravo !) (un plan séquence…)
page perdue au milieu d’un livre avec personnage ou plan-séquence, oui voilà !
contente de ton écho, Piero… merci
C’est un très beau texte glaçant et vibrant, plein de vie et de mort, de fanfaronnade et d’humanité. Je n’avais pas repéré ce blockhaus dans l’archive arn, par contre je me suis arrêtée longtemps sur un autre, tombé de la falaise crayeuse (2017, automne, infrasculptures, béton, mur de l’Atlantique, pays de Caux).
je suis tombée dessus par hasard bien sûr, c’était le jeu… et je n’ai pas cherché plus loin…
je me demande d’ailleurs si chacun a cherché plutôt dans ses territoires connus ou bien est allé se perdre complètement…
merci Laure pour cet écho
Un moment d’histoire, celle que l’on connaît en dates de guerre et événements notables, croquée à hauteur d’un blokhaus. Tout y est. C’est un exercice difficile de remettre ces monuments dans le vivant, tu y parviens avec une étonnante impression de facilité.
peut-être l’effet de l’utilisation du présent, puis du passé, puis retour au présent… (j’avais hésité là-dessus, mais ça m’avait paru fonctionner…)
ça redonne du vivant
enfin je ne sais pas…
merci Nolwenn
une forteresse imprenable, des occupants prédateurs et victimes, le vol d’un jeune résistant
une forteresse imprégnée de passé et parée d’une broderie végétale, la vie reprend ses droits
à venir d’autres résistances chevillées au corps du jeune garçon devenu adulte
on attend
beau moment de lecture
tant de romans à écrire
certains déjà écrits, mais probablement incomplets, toutes ces séquences écrites ci et là pouvant s’y insérer ou devenir nouveaux ouvrages… tant de travail à faire
plaisir de découvrir en direct ton déchiffrage si précis et fort
merci chère H