#photofictions #08 | Cheminement

Dans le noir, j’entre dans l’expo. Ma main effleure un mur sur lequel je sens un fil de fer tordu. En me concentrant, je découvre que les accidents du fil dessine des lettres et à l’aveugle, j’égraine les lettres : cheminement.
Je continue, laissant mes doigts traîner sur le mur essayant de reprendre cet étrange cheminement, creux, bosses, surface granuleuse, bras tendus sur les côtés pour appréhender la largeur de la pièce, non, seul mon bras gauche touche un mur, puis tout d’un coup, ma main droite est elle aussi en contact avec une paroi froide, lisse et hasardant ma main, je ne trouve pas de mots gravés ou un relief, je continue à tâtons dans ce qui est maintenant un goulet. Sur la droite, un tissu  est tendu sur des cadres, tissu noir, j’imagine. Sont brodés des mots. Du bout des doigts je déchiffre, un E final, je remonte le mot : générale, je promène ma main et à nouveau des lettres brodées, encore un E final et je lis rêve, l’accent circonflexe se dandine. Je promène ma main à nouveau sur les deux mots rêve générale. Le E fautif m’interpelle. Eh! oui. C’est grève générale ! Le lien s’établit rapidement : ne fait-on pas la grève parce qu’on rêve d’un monde meilleur ?
J’avance pas à pas, essayant de voir dans le noir où je mets les pieds. Une marche, rien, une autre marche, je fais glisser mon pied droit et quand il est assuré, je passe au gauche, jusqu’où grimpe cette estrade ou cette volée de marches ? Le noir exacerbe tous mes sens, maintenant à fleur de peau.
Soudain la lumière jaillit, je sursaute, au bout de l’estrade, un mur blafard. Quatre lettres terribles en rouge bâtonnées
P E U R
Autour du mot géant, je lis en lettres cursives, la PEUR n’empêche pas de mourir mais elle empêche de vivre !
Le mot PEUR affole encore mon cœur tant sa force est violente, même si la phrase pleine de sagesse tisse une vérité connue.
Au plafond, des néons grésillent jaune orangé et forme
SOUPÇONNE MOI DU MEILLEUR
Je souris devant le contre-pied apporté à l’expression.
Maintenant, je me promène dans cet espace comme dans une boîte ouverte, un lieu où les mots font résonner la langue.
La grande nouvelle a piqué une tête (la mienne), cueillie près de la piscine, de quelle nouvelle s’agit-il ? L’arrivée du messie ou une déclaration (pourquoi pas) d’amour ?
D’autres mots plus épais : s’inquiéter c’est souffrir deux fois. J’acquiesce. Je vois maintenant l’offre d’un commerçant : —40 % prix maraboutés. C’est le tour d’un mot espagnol OJALA, il pète de couleurs bariolées. « Pourvu »… pourvu que je réussisse à exprimer ce que je ressens.
Je passe aux deux murs qui se font face, des poésies se répondent tout en sensibilité.
Mur de droite :
Irradié par la pleine lune
Le brin d’herbe n’a plus qu’une envie
Vivre
(Tout le texte est noir, seul Vivre est en rouge)
Mur de gauche :
Un champ de tournesols
Secret accord du jaune au jaune
Dans la pyramide des liens se cache
La beauté du jaillissement
(Tout le texte est en noir, seul du jaune au jaune est… en jaune)
Finir sur les tournesols me transporte de joie, je revois les tableaux de Joan Mitchell (inspirée par Van Gogh) où elle laisse exploser ses émotions tout en couleurs devant les paysages. Je reçois à travers sa peinture la soif de vivre !

Codicille : J’ai rencontré en me baladant dans mon quartier tous ces mots, des dessins aussi et parfois des mots en arabe que je ne peux calligraphier ici. Je salue l’inventivité qui offre ces pauses langagières au badaud et fait vibrer la ville.