C’est toi qui as proposé je crois. Pas souvent que nous, tous les trois sur une photo. Un peu compliqué à cette époque de l’argentique et des retardateurs automatiques sans trépied. Toi derrière le viseur. Elle, entre nous deux, avec dans ses bras, l’enfant. Tous les quatre debout devant l’étang, la lisière en arrière-plan. C’est l’automne, l’enfant a le visage tout rosi par le froid et tout joufflu dans sa cagoule bleu marine. Tu nous regardes en légère contre-plongée, mais tu te places de façon à cadrer aussi, sur tout le tiers supérieur, la bande orangée et jaune du feuillage. Tu m’as demandé juste avant si j’utilisais une pellicule couleur ou noir et blanc. Tu réalises une de ces photos d’un dimanche après-midi de balade entre amis. Une de ces photos où plus tard on s’étonnera de notre jeunesse en feuilletant, de loin en loin, le gros album un peu poussiéreux qui la conservera. Une de ces photos où on prétendra détecter les malheurs qui s’abattront ensuite. Facile, banal. Nous ne savions pas encore pour vous deux. On sentait bien un peu mais toi, toujours à donner le change. J’ai insisté pour que vous posiez à votre tour seuls avec l’enfant, un peu raides, distants, il me semble maintenant. Cette douleur que ça a dû être pour vous. Peut-être votre décision sans doute déjà prise ou sur le point de ? Cette souffrance pour toi, de ce qui allait t’échapper. Tu le savais déjà. Triste, banal. Nous tous, ensemble pour la dernière fois. Certain que cette photo de vous, tu l’as toujours. Nous n’avons plus jamais osé te parler d’elle.
Tout ce que réveille, révèle une photo, de questionnements, de sentiments, de regrets sûrement.
Merci Jérôme pour ce texte très émouvant.
Merci Jérôme pour ce texte tout en délicatesse et touchant.
Ce jeu du temps, entre le moment de la prise et celui, plus tard, où on regardera le photo, avec tout ce qu’il y a entre laissé en suspens. Un texte comme une photo hors du temps. Beau.