Il y a les yeux rieurs, il y a la frange noire. Sombres les yeux et vifs. Sombres les cheveux. Noiraude montre ses petites dents, le corps nu sous le filet de laine orange. Noiraude est assise les genoux repliés, sur la chaise de bois. La pièce est sépia. Le filtre ne s’en est pas mêlé. Noiraude baigne dans les tons oranger et kaki. Le filtre ne s’en est pas mêlé. Simplement les années quatre-vingts. L’assiette est en arcopale. Et ses grosses fleurs oranges. Un carrelage façon terrazzo, triangles gris, blancs, oranges. Elle a les genoux repliés. Son visage de trois quarts. Noiraude baigne dans le rotin et les tapis de laine. En arrière trône la bouteille de grenadine. Noiraude a les genoux repliés sous la couverture de laine, comme plus tard sous les pulls larges tendus au-dessus des genoux, les pulls cabanes. Noiraude est à elle-même sa propre maison.
Noiraude est nue étendue sur les oreillers, le corps jeune et rond, la peau pâle marquée de langueur et de caresse. Le filtre ne s’en est pas mêlé. Ni les années quatre-vingts. Noiraude est jeune, pourtant, déjà remonte le temps. Le filtre ne s’en est pas mêlé. Simplement l’Europe de l’Est. Il n’y a que le lit, le dessus de lit et les coussins. Il n’y a que ça. Et les tons oranger et kaki. Seulement quelques objets pour désigner : l’Europe de l’Est. Noiraude est nue, c’est drôle, cette féminité troublante dans ce décor de brocante. C’est un modèle de Klimt, au fond d’un PMU. Noiraude est jeune. Pourtant déjà, remonte le temps. Tout commence alors. Tout recommence. Noiraude est à elle-même son propre pays.
Pour « l’orange kaki, les pulls cabanes et un modèle de Klimt, au fond d’un PMU, » Merci
Merci Cécile, je crois reconnaître au fil des mois ton goût pour un petit fond d’ironie.
Toujours ce rythme par petites touches éparses, qui piochent, citent, emportent le personnage (en pulsations) dans le temps. Mais pourquoi Noiraude ? Je n’ai pas arrêté de penser à la Noiraude de Jean-Louis Fournier…
C’est le surnom de la gosse née avec des yeux un peu perçants et des cheveux très sombres dès le berceau. Quand je ne réfléchis pas, j’ai la paresse nominale, les verbes sautent. Quand je travaille plus ça donne comme dans « Mars la rouge » un effet plus ciselé. Pas encore bien trouvé le curseur, quelque chose entre la mitraillette et l’apesanteur. C’est pour cela que c’est assez difficile de bâtir des structures, des continuités, un récit en somme : je ne m’y connais pas assez en musique ou en cinéma pour bien comprendre comme ça marche ces effets de refrain et de collage.
On commence à lire et on ne peut plus s’arrêter. Le rythme, qui efface toute pesanteur, nous fait marcher légers d’une note à l’autre. Très beau !
Merci Héléna de ce retour à chaud, et chaleureux 🙂
Mars la rouge, c’est plus classe que la Noiraude !
Chouette rythme marqué par les répétitions, celle sur surnom, celle du « filtre qui ne s’en ai pas mêlé », beaucoup aimé cette phrase à répétition.
Il faudra dire ça à Kim Stanley Robinson 🙂
Effet du rythme saisissant. Les répétitions aussi. L’orange et le kaki, un résumé de teintes pour une époque. Beaucoup aimé. Merci.
Merci Anne pour cette incursion dans ce monde jaunâtre.